Comment fonctionne la sexualité du pervers narcissique
Les pervers narcissiques (PN) sont des individus à la personnalité narcissique pathologique, connus pour leurs comportements manipulateurs, leur besoin excessif de contrôle et leur absence d’empathie. Lorsqu’il s’agit de sexualité, le PN – qu’il soit homme ou femme – transforme ce qui devrait être un espace d’intimité et de partage en un terrain de pouvoir et de domination. Pour les victimes, les conséquences sur la vie sexuelle et psychologique sont dévastatrices. Dans cet article, je vous propose un tour d’horizon de la sexualité du pervers narcissique. J’aborde une définition du PN dans son rapport à la sexualité, je définis les comportements sexuels typiques (chez les hommes et les femmes), j’analyse les liens entre sexualité, emprise et contrôle, ainsi que les dynamiques de manipulation, de violence sexuelle ou de froideur affective. J’examine ensuite l’impact sur la victime (culpabilité, dissociation, troubles de la sexualité, etc.), les différences selon le genre entre PN hommes et femmes, puis je présente des recommandations de protection pour vous aider à vous reconstruire.
Définition du pervers narcissique en lien avec la sexualité
Le pervers narcissique se définit par un trouble sévère de la personnalité narcissique, caractérisé par une grandiosité (sentiment de supériorité), un besoin d’admiration et un manque d’empathie chronique pour autrui. Il voit les autres comme des objets à manipuler pour satisfaire ses propres besoins. Sur le plan de la sexualité, cela se traduit par ce que nous appelons le « narcissisme sexuel » – un schéma de comportement sexuel égocentrique où la personne a une estime exagérée de ses performances intimes et se sent en droit de combler ses désirs sans considération de l’autre. En d’autres termes, le PN considère l’acte sexuel non comme un partage mutuel, mais comme un moyen d’obtenir une gratification personnelle (physique ou liée à l’ego). Cette attitude masque une fragilité interne : certaines personnes narcissiques utilisent la sexualité comme une surcompensation d’un manque d’estime de soi ou d’une incapacité à créer de vraies intimités affectives.
Il est important de noter que le terme “pervers” dans pervers narcissique ne renvoie pas nécessairement à des pratiques sexuelles déviantes au sens clinique, mais plutôt à une perversion morale dans la relation à autrui – ici, le fait de détourner la sexualité de sa fonction de lien affectif pour en faire un instrument de pouvoir et de contrôle. Le PN excelle à dissocier sexualité et affectivité : il peut être très actif sexuellement tout en demeurant émotionnellement détaché, ou au contraire utiliser l’absence de sexualité comme une arme relationnelle. Dans tous les cas, sa sexualité s’inscrit dans sa dynamique narcissique globale.
Comportements sexuels typiques du pervers narcissique
Derrière le charme initial du pervers narcissique se cachent des comportements sexuels récurrents, identifiables chez les hommes comme chez les femmes :
Séduction intense puis dévalorisation
Au début d’une relation, le PN pratique le love bombing – une séduction effrénée : une passion débordante, une attention apparente aux désirs de l’autre, et une grande assurance quant à ses propres performances. Le partenaire est comblé de compliments, de gestes d’affection et d’une sexualité idéalisée. Toutefois, une fois la conquête assurée, le PN change d’attitude et devient froid, critique ou distant. Cette bascule laisse la victime déstabilisée, cherchant à retrouver la phase d’intensité initiale.
Égocentrisme et absence d’empathie au lit
Très vite, le PN révèle son égoïsme sexuel. Ses propres envies priment systématiquement ; il ne tient pas compte des besoins, limites ou plaisirs de son/sa partenaire. Par exemple, il impose des pratiques sans se soucier du consentement de l’autre, arrête toute tendresse une fois son propre plaisir atteint, ou encore ignore le confort physique ou émotionnel de son partenaire. Cette absence d’empathie s’inscrit dans son profil de personnalité globale et laisse la victime avec un sentiment d’être un objet sexuel plus qu’une personne aimée.
Quête de nouveauté et infidélités
L’un des comportements typiques est la multiplication des partenaires ou des aventures extraconjugales. Le pervers narcissique, avide de narcissistic supply (soutien narcissique), recherche de nouvelles sources d’admiration et de gratification, y compris sur le plan sexuel. Le psychologue Theodore Millon décrivait un sous-type de narcissique dit “amoureux” qui se montre « sexuellement séduisant, enjôleur, [mais] peu enclin à une réelle intimité […] et [qui] tend à avoir de nombreuses liaisons, souvent simultanées » en.wikipedia.org. L’infidélité chez le PN n’est pas uniquement motivée par le désir charnel, mais aussi par le besoin de se prouver qu’il peut conquérir et contrôler de nouvelles proies. Chaque nouvelle conquête est un miroir dans lequel il cherche à voir reflétée sa toute-puissance. Les femmes perverses narcissiques adopte tout autant ce schéma en entretenant plusieurs relations parallèles ou en flirtant ouvertement pour susciter l’attention.
Absence d’intimité authentique
Bien que le PN puisse être performant ou entreprenant sur le plan sexuel, l’intimité émotionnelle est quasi inexistante. Les rapports sont mécaniques. Cette incapacité à investir émotionnellement la sexualité est déroutante pour le partenaire, qui se sent seul même dans la proximité physique. Comme l’ont noté certains auteurs, ce profil narcissique « se montre peu enclin à une véritable intimité » malgré un comportement sexuellement actif. En pratique, la relation sexuelle avec un PN manque de connexion profonde, la victime est ainsi insatisfaite sur le plan affectif.
Contrôle par le sexe
Le PN utilise la sexualité comme un outil de manipulation dans la relation. Il alterne des périodes de sexualité intense avec des périodes de retrait complet, afin de maintenir l’autre dans l’incertitude et la dépendance. Il n’hésite pas à récompenser par du sexe lorsque le partenaire “obéit” à ses attentes, puis à punir par la privation ou le rejet lorsqu’il veut reprendre l’ascendant. Ce yoyo sexuel – tantôt hyper-sexualisé, tantôt froid – est déstabilisant et vise à créer un état de manque chez la victime, renforçant ainsi l’emprise (un point détaillé dans la section suivante).
En somme, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, le pervers narcissique adopte une sexualité à son service exclusif. Son comportement oscille entre excès et carence : excès de séduction, de demandes ou de conquêtes d’un côté, et carence d’empathie, de respect et d’intimité de l’autre. Ces caractéristiques, loin d’être épisodiques, s’inscrivent dans un pattern cohérent chez le PN, et permettent de le différencier d’une personne simplement égoïste ou volage. Ici, la sexualité est systématiquement instrumentalisée au détriment du partenaire.
Liens entre emprise, sexualité et contrôle
Dans la relation avec un pervers narcissique, la sexualité est un des leviers les plus puissants de son emprise sur la victime. L’emprise désigne la domination psychologique insidieuse exercée par le PN, qui prive peu à peu la victime de son libre arbitre et de ses repères. La sexualité, de par l’intimité et la vulnérabilité qu’elle implique, est un terrain privilégié pour exercer ce contrôle. Plusieurs mécanismes expliquent comment le PN s’y prend pour lier sexualité et emprise :
Dépendance par les “montagnes russes” affectives et sexuelles
Le PN instaure un cycle de renforcement intermittent fait d’alternance entre des phases de plaisir intense et des phases de rejet. Au début, la sexualité est utilisée pour “ferrer” : la phase de lune de miel, avec sa passion débordante, crée un attachement fort. Le cerveau de la victime associe alors ces moments d’euphorie à la relation. D’un point de vue neurobiologique, on sait que durant les rapports sexuels, des hormones comme l’ocytocine et la dopamine sont libérées, renforçant les sentiments d’attachement et de confiance. La victime développe une véritable dépendance affective vis-à-vis de son abuseur, comparable à une addiction. Lorsque le PN retire soudainement son affection ou sa présence (y compris sexuellement), la victime se retrouve en manque et cherche désespérément à retrouver la connexion perdue. Ce cycle récompense/punition renforce paradoxalement l’attachement de la victime – un phénomène nommé “trauma bonding” (lien traumatique). L’emprise s’installe, chaque réconciliation passionnée venant cimenter un peu plus la relation malgré la toxicité.
Sexe utilisé comme moyen de domination et de terreur
Dans certains cas, le PN va jusqu’à employer la violence sexuelle pour asseoir son contrôle. Le viol conjugal ou les rapports forcés, bien qu’illégaux et traumatisants, sont malheureusement une réalité pour de nombreuses victimes de partenaires narcissiques et manipulateurs. Ces actes ne relèvent pas de la pulsion sexuelle incontrôlée, mais bien d’une logique de pouvoir : il s’agit pour l’abuseur de montrer à la victime qu’il a un droit total sur son corps et son intimité. Ce type de violences s’inscrit dans une dynamique où l’agresseur cherche à prendre le pouvoir sur la victime par tous les moyens, y compris par un contrôle sexuel sadique. On retrouve ici l’idée largement documentée que le viol est un crime de domination plus que de désir. Le PN, notamment s’il présente un versant antisocial ou psychopathe (narcissisme dit malin), utilise le sexe comme une arme de terreur.
Atteintes à l’autonomie sexuelle et reproductrice
Le contrôle exercé par un PN s’étend à tous les aspects de la vie intime de sa victime. Certains empêchent leur partenaire d’avoir accès à la contraception ou sabotent celle-ci (reproductive coercion), afin de provoquer une grossesse non désirée qui va piéger davantage la victime dans la relation. D’autres interdisent à leur conjoint toute initiative sexuelle, ou au contraire exigent des rapports à des moments et dans des conditions qui conviennent uniquement à eux. La notion de consentement est vidée de son sens face à un manipulateur narcissique : le partenaire se voit dénier le droit de dire non (sous peine de colères, de représailles ou de chantage affectif) et le droit de dire oui librement (car même le “oui” est extorqué ou intéressé). Ce contrôle de la sexualité s’accompagne d’un isolement de la victime : le PN exprime une jalousie maladive, accuser sans cesse l’autre de le tromper, dicter sa façon de s’habiller ou de se comporter en société, tout cela pour empêcher les interactions extérieures et poursuivre son emprise.
En résumé, l’activité sexuelle dans une relation avec un pervers narcissique dépasse le cadre intime pour devenir un outil central de contrôle coercitif. La sexualité sous emprise n’est ni libre ni épanouissante : elle est orchestrée par le PN pour affaiblir psychologiquement sa victime, la lier à lui (par la chimie émotionnelle autant que par la manipulation mentale) et lui prouver qui détient le pouvoir. Comprendre ce lien entre sexualité et emprise est très important pour les victimes, car il aide à nommer des situations d’abus souvent tues (comme le viol conjugal ou le chantage sexuel) et à prendre conscience que ces comportements ne sont pas “normaux” ni acceptables, mais bien des stratégies de domination.
Manipulation, violence sexuelle ou froideur affective
Le pervers narcissique adopte vis-à-vis de la sexualité deux visages extrêmes – parfois alternatifs, parfois concomitants : celui du prédateur sexuel violent, ou au contraire celui du partenaire distant et froid. Dans les deux cas, il s’agit de manipulation et de manque d’empathie, exprimés soit par un excès toxique, soit par un manque toxique. Examinons ces deux versants et les tactiques manipulatoires couramment employées :
La manipulation et la violence sexuelle (l’excès toxique)
Chez certains PN, la sexualité devient le terrain d’une véritable violence. Cela va de la contrainte subtile jusqu’à la violence physique évidente. Par exemple, un PN pousse insidieusement sa partenaire à avoir des rapports quand elle n’en a pas envie, en minimisant ses refus (« Tu exagères, ce n’est rien, toutes les femmes font ça pour leur mari »), en faisant du chantage affectif (« Si tu m’aimes vraiment, tu devrais accepter »), ou en la culpabilisant (« Si je vais voir ailleurs ce sera de ta faute, tu ne remplis pas ton devoir conjugal »). Ce gaslighting sexuel vise à faire douter la victime de son propre droit au consentement. À un niveau plus explicite, la violence sexuelle se manifeste par des attouchements ou rapports forcés. Le pervers narcissique a aussi des comportements à connotation sexuelle humiliants pour sa victime : la filmer à son insu, la forcer à des actes dégradants, faire des commentaires humiliant sur son corps ou ses performances pour la blesser. Ces actes laissent des blessures psychiques profondes. La victime se sent souillée, trahie dans son intimité la plus profonde. Souvent, elle n’ose pas en parler par honte ou par peur qu’on ne la croie pas, d’autant que le PN entretient soigneusement en public une image irréprochable. Il est important de souligner que toute sexualité obtenue sans consentement clair et enthousiaste est une violence. Malheureusement, au sein du couple, ce viol conjugal est encore banalisé ou ignoré, ce qui augmente la confusion et la détresse des victimes.
La froideur affective et le retrait (le manque toxique)
À l’opposé, de nombreux pervers narcissiques affichent une grande froideur émotionnelle dans la sexualité. Ils sont détachés, peu chaleureux, presque cliniques pendant l’acte sexuel. Le partenaire ressent alors une dissonance : physiquement proche, mais émotionnellement à des années-lumière. Cette froideur est une caractéristique permanente (le PN est distant une fois la nouveauté de la conquête passée), ou bien une punition temporaire infligée pendant les phases de devaluation (dévalorisation). Dans les deux cas, le message implicite pour la victime est : « Tes besoins affectifs ne m’intéressent pas ». Certains PN vont jusqu’à priver complètement leur partenaire de sexe pendant de longues périodes sans explication valable, ou ne manifestent aucune tendresse en dehors des rapports sexuels, établissant ainsi un climat de privation affective. Cette stratégie accroît la souffrance de la victime qui se remet en question : « Qu’est-ce qui ne va pas chez moi pour qu’il/elle soit aussi indifférent(e) ? ». En réalité, cette indifférence est calculée. Elle permet au PN de maintenir une position de force (c’est lui qui décide quand il y aura intimité ou non) et d’éviter toute dépendance émotionnelle vis-à-vis de l’autre. Du fait de leur absence d’empathie, les PN sont incapables de s’engager dans une intimité authentique. L’incapacité à soutenir une connexion émotionnelle profonde fait partie intégrante de la perversion narcissique. Ainsi, faire l’amour avec un PN laisse un goût amer : la victime a l’impression d’« être utilisée et non aimée », ce qui porte atteinte à son estime de soi.
Des rapports sous contrôle absolu
Que le PN adopte une attitude d’agresseur sexuel ou de partenaire glacé (ou une alternance des deux), dans tous les cas c’est lui qui dicte les règles de la sexualité dans le couple. Par exemple, il fixe des “règles” explicitement ou implicitement : tel type de pratique doit avoir lieu, à telle fréquence, sinon il fera la tête ou menacera de partir. Inversement, il refuse tout élan d’affection spontanée de la part de sa/son partenaire, comme pour montrer que rien ne se fait sans son approbation. Cette mainmise crée un climat d’insécurité permanente : la victime ne sait jamais sur quel pied danser, ni ce qui va provoquer la colère ou le rejet. Cette imprévisibilité et cette toute-puissance du PN sur la sphère intime font partie intégrante du cycle de la violence conjugale. Elles visent à anéantir la confiance de la victime en elle-même (elle finit par penser qu’elle “mérite” ces traitements ou qu’elle ne trouvera jamais mieux) et à renforcer la toute-puissance du PN. D’un point de vue psychologique, le PN voit la sexualité comme une partie d’échecs où l’autre est un pion. Il n’y a pas de réelle réciprocité, seulement un jeu de pouvoir.
En définitive, qu’il soit dans l’excès (violence, hypersexualité dominatrice) ou dans le manque (froideur, distance), le pervers narcissique utilise la sexualité pour manipuler l’autre et asseoir sa domination. Ces comportements ne sont pas de simples “traits de caractère” pénibles : ce sont des abus. Les reconnaître en tant que telles est capital pour les victimes, afin de sortir de la confusion et de la culpabilité induites par le PN.
Impact sur la victime : culpabilité, dissociation, troubles de la sexualité…
Les conséquences d’une relation avec un pervers narcissique sur la victime sont profondes, en particulier lorsqu’il y a eu emprise sexuelle. La victime subit un véritable traumatisme psychologique dont les manifestations perdure longtemps après la fin de la relation si elles ne sont pas prises en charge. Voici les impacts les plus couramment observés :
Culpabilité et dévalorisation de soi
La victime d’un PN finit presque toujours par se sentir coupable de la situation. Sous l’effet du lavage de cerveau opéré par le PN, elle en vient à croire que c’est de sa faute si la sexualité du couple dysfonctionne ou si l’autre la maltraite. Le PN excelle à lui faire porter la responsabilité : « Si je te trompe, c’est parce que tu n’es pas assez désirable », « Si je te force, c’est parce que tu me frustres tout le temps », « Si je te délaisse, c’est que tu ne fais pas d’effort pour m’attirer ». À force d’entendre ces mensonges, la victime perd son estime d’elle-même. Elle développe une honte intense de son propre corps, de son propre désir ou de son absence de désir. Cette honte s’accompagne d’une perte de repères : elle ne sait plus ce qui est normal ou non dans une relation intime. Ayant été critiquée, comparée à d’autres (ex : le PN la compare défavorablement à ses ex ou à des acteurs pornographiques), la victime se sent inférieure, “pas à la hauteur”. La culpabilité est telle que de nombreuses victimes hésitent à dénoncer les abus subis, pensant qu’elles les ont provoqués ou qu’elles ne seront pas crues.
Stress post-traumatique et anxiété
Vivre sous l’emprise d’un PN, c’est vivre dans un climat de stress chronique. Le système nerveux de la victime est en alerte, guettant la prochaine crise ou le prochain revirement de l’abuseur. Il n’est pas rare qu’après des mois ou des années de ce régime, la victime développe un État de Stress Post-Traumatique (ESPT) ou un syndrome de stress post-traumatique complexe (traumatisme prolongé). Des flashbacks surviennent (par exemple, revivre mentalement des agressions sexuelles subies), accompagnés de cauchemars, de troubles du sommeil, d’une hypervigilance (être toujours sur le qui-vive) et d’une anxiété généralisée. Des études ont montré que les victimes de violences conjugales (physiques et/ou sexuelles) présentent des taux élevés de dépression, d’anxiété, de syndromes post-traumatiques et même de conduites suicidaires. Il s’agit de conséquences directes de l’abus et de la terreur psychologique subie. Par ailleurs, le stress intense engendre des troubles psychosomatiques (migraines, troubles digestifs, douleurs chroniques) et la victime à consomme substances ou médicaments pour tenter de gérer son mal-être.
Dissociation et anesthésie émotionnelle
La dissociation est un mécanisme de survie du psychisme face à un traumatisme insupportable. De nombreuses victimes de viol ou de violence sexuelle rapportent s’être senties “comme détachées de leur corps” pendant l’agression. Il en va de même pour les victimes de PN : lors d’épisodes de violence ou de sexe contraint, elles se dissocient. Cela signifie qu’elles se coupent émotionnellement de la réalité présente, comme si ce qui leur arrivait se déroulait en dehors d’elles. Ce phénomène, appelé parfois “dépassement de soi” ou “numbing” émotionnel, permet de réduire momentanément la douleur psychique. Cependant, à long terme, cela problématique : la victime, habituée à se déconnecter de ses émotions pour survivre, a du mal à les reconnecter ensuite. Des études en psychotraumatologie ont établi un lien clair entre les traumatismes (notamment les abus sexuels) et la dissociation : beaucoup de personnes ayant un historique de traumatismes présentent des symptômes dissociatifs. Autrement dit, la dissociation est courante chez les victimes d’abus. Après la relation avec le PN, la personne se sent engourdie émotionnellement, incapable de profiter pleinement de la vie, ou au contraire être en proie à des intrusions de souvenirs traumatiques incontrôlables. Ces manifestations font partie intégrante du syndrome de stress post-traumatique complexe.
Troubles de la sexualité et de l’attachement
La sphère sexuelle étant le lieu même du traumatisme pour la victime de PN, il n’est pas surprenant qu’elle en garde des séquelles dans sa vie intime future. Beaucoup souffrent de troubles du désir (perte totale de libido, ou au contraire hypersexualité compensatoire), de douleurs lors des rapports (dyspareunie chez la femme par exemple, pouvant être d’origine psychosomatique), de blocages (impossibilité d’avoir des rapports pendant un temps) ou de flashbacks traumatiques durant l’intimité avec un nouveau partenaire. La sexualité, qui devrait être source de plaisir et de connexion, est source d’angoisse, de panique, ou au minimum de tension. Par conditionnement, la victime associe le sexe à la peur, à la honte ou à la soumission, ce qui empêche tout épanouissement. En parallèle, se reconstruire sur le plan affectif n’est pas aisé : les victimes de PN ont souvent du mal à faire confiance de nouveau. Elles redoutent de s’engager, testent excessivement le partenaire par peur d’être à nouveau manipulées, ou au contraire retomber dans des schémas d’emprise si le traumatisme n’a pas été traité (phénomène de répétition). Une intervention psychothérapeutique adaptée est nécessaire pour surmonter ces troubles.
Isolement social et incompréhension
Un impact collatéral important est l’isolement. Sous l’emprise du PN, la victime s’est coupée de son entourage (soit parce que le PN l’a isolée, soit parce qu’elle n’osait plus parler de sa situation). Après la relation, elle se retrouve seule, sans réseau de soutien, d’autant que l’emprise narcissique est mal comprise de l’extérieur. De nombreux proches peinent à concevoir “qu’un conjoint sans histoire en apparence” ait pu commettre de telles exactions. Cette incompréhension accentue le sentiment de honte et de solitude de la victime. Pourtant, les statistiques sont parlantes : environ 1 femme sur 3 dans le monde a subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire intime au cours de sa vie. Les hommes aussi peuvent en être victimes. Ainsi, la victime d’un PN n’est malheureusement pas un cas isolé, et il existe de plus en plus de reconnaissance de ces traumatismes.
En somme, l’impact sur la victime d’un pervers narcissique est multidimensionnel : psychologique, émotionnel, physique et social. Il s’apparente à celui des victimes de traumatismes complexes. Culpabilité envahissante, perte d’estime de soi, symptômes anxieux et dépressifs, troubles de stress post-traumatique (dont dissociation), difficultés sexuelles et relationnelles futures – tels sont les défis auxquels elle fait face. La route de la reconstruction est difficile mais possible, notamment grâce à un accompagnement thérapeutique adéquat (que j’aborde plus loin). L’important est que la victime comprenne qu’elle n’est pas responsable des abus subis, et qu’elle peut progressivement reprendre le contrôle de sa vie et de sa sexualité hors de l’emprise.
Les différences selon le genre (PN homme vs PN femme)
On associe l’image du pervers narcissique à un homme. Cependant, il serait erroné de croire que les femmes sont épargnées par ce trait de personnalité : les femmes perverses narcissiques existent bel et bien, avec des modes opératoires parfois un peu différents mais tout aussi toxiques. Quelles sont donc les différences (et similitudes) dans la sexualité d’un PN homme versus d’une PN femme ?
Points communs : hommes et femmes pervers narcissiques
Sur le plan de la structure narcissique, hommes et femmes PN partagent les mêmes caractéristiques de base (égocentrisme, besoin de contrôle, absence d’empathie). Ils utilisent l’un et l’autre la sexualité comme un instrument de pouvoir et de gratification personnelle. Les comportements tels que l’infidélité, la manipulation sexuelle, le chantage affectif ou la froideur émotionnelle ne sont pas l’apanage d’un sexe : ils se retrouvent chez les deux. De même, les conséquences pour les victimes (traumatisme, culpabilité, etc.) sont similaires que l’abuseur soit un homme ou une femme. Il est important de souligner cela, car les hommes victimes d’une femme perverse narcissique éprouvent encore plus de difficultés à être crus ou aidés, du fait des stéréotypes de genre (un homme serait “forcément consentant” ou “moins atteint” par des abus sexuels féminins, ce qui est faux).
Différences dans l’expression du narcissisme
Des recherches suggèrent toutefois des nuances dans la façon dont le narcissisme se manifeste chez les deux genres. Les hommes ont tendance à exprimer un narcissisme dit “grandiose” plus fréquemment : arrogance affichée, exploitation directe, besoin d’être admirés ouvertement. Les femmes, elles, présentent plus souvent un narcissisme “vulnérable”, c’est-à-dire une forme plus dissimulée, où l’insécurité et la quête d’attention prennent des chemins plus indirects. Une étude de 2020 a montré que les femmes obtiennent des scores significativement plus élevés en narcissisme vulnérable que les hommes, tandis que pour le narcissisme grandiose aucune différence notable n’apparaissait en.wikipedia.org. Concrètement, cela signifie que la femme PN use davantage de stratégies passives-agressives ou victimaires : par exemple, manipuler en feignant d’être la victime, en culpabilisant son partenaire sur le mode « après tout ce que j’ai fait pour toi, comment oses-tu… », ou en alternant séduction et lamentations pour arriver à ses fins. L’homme PN, lui, adopte une approche plus frontale dans la domination : ouvertement autoritaire ou critique, jaloux possessif, etc. Néanmoins, il existe aussi des hommes PN vulnérables (plus “larmoyants” et auto-centrés sur leurs problèmes) et des femmes PN grandioses (tyranniques et flamboyantes). Le genre ne détermine pas tout, mais influence le style d’expression en raison des rôles sociaux inculqués dès l’enfance.
Différences dans les comportements sexuels spécifiques
Sur le terrain de la sexualité, on observe que le PN homme va mettre l’accent sur la conquête sexuelle et la multiplication des partenaires comme preuve de sa valeur. Il adopte une attitude de “dominateur” ou de “prédateur” plus directe. Beaucoup d’hommes narcissiques hypersexuels se vantent de leurs exploits, ont recours à la pornographie de manière compulsive, et n’hésitent pas à franchir les limites du consentement en pensant y avoir droit. Du côté de la PN femme, la sexualité est aussi un outil majeur de pouvoir, mais elle l’exerce d’une manière différente. La femme PN utilise fréquemment la séduction comme arme : elle sait charmer, attirer la convoitise, et utilise son attrait sexuel pour manipuler (que ce soit son partenaire attitré, ou d’autres personnes dont elle obtient faveurs et attention). On retrouve le stéréotype de la “veuve noire” ou de la “femme fatale manipulatrice”. Cette séduction est suivie d’un retrait soudain (refuser l’acte sexuel à son conjoint pour le punir, tout en flirtant ailleurs pour le rendre jaloux, par exemple). La femme PN joue sur l’ambiguïté : un coup hypersexualisée, un coup intouchable. Par ailleurs, certaines femmes PN exploitent encore davantage les normes sociales : conscientes que la violence féminine est moins suspectée, elles malmene leur partenaire masculin (y compris physiquement ou sexuellement) en étant quasiment sûres qu’il n’osera pas se plaindre de peur d’être tourné en ridicule. Elles manipulent les autres en incarnant parfaitement, en public, le rôle de la femme charmante et irréprochable, rendant les révélations de la victime d’autant moins crédibles.
Le regard de la société
La société tend à excuser différemment les comportements selon le genre. Un homme à multiples conquêtes sera qualifié de “don Juan”, image parfois valorisée, tandis qu’une femme faisant de même sera plus sévèrement jugée. De même, une femme qui se refuse sexuellement est rarement perçue comme abuseuse, là où un homme qui prive sa conjointe d’intimité sera plus facilement pointé du doigt. Ces biais brouillent l’identification d’une femme perverse narcissique, dont les écarts de conduite passent sous le radar des critiques sociales, alors que ses victimes souffrent tout autant. La difficulté, pour les victimes masculines notamment, est de faire reconnaître qu’elles ont pu subir de la violence sexuelle ou psychologique de la part d’une femme – ce qui arrive pourtant.
En résumé, hommes et femmes pervers narcissiques partagent un fond commun, mais adoptent souvent des styles différents conformes aux rôles de genre : le premier privilégiant une domination brute et ouvertement sexuelle, la seconde une manipulation plus « discrète » et érotico-émotionnelle. Dans tous les cas, le danger pour la victime est réel. Qu’il s’agisse d’un PN homme ou femme, l’impact destructeur est comparable, et les stratégies de protection devront être similaires.
Recommandations thérapeutiques et de protection
Face à l’emprise et aux traumatismes infligés par un pervers narcissique, il est essentiel que la victime sache qu’elle peut se reconstruire et retrouver sa liberté, y compris sexuelle. La route est difficile, mais de nombreuses ressources thérapeutiques et stratégiques existent pour l’y aider. Voici quelques recommandations clés, à la fois pour entamer un travail de guérison psychologique et pour se protéger activement de l’abuseur :
Rechercher un accompagnement thérapeutique spécialisé
Consulter un psychologue et/ou psychothérapeute formé à la psychotraumatologie est fortement recommandé. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) aident à déconstruire les pensées de culpabilité et à réaffirmer l’estime de soi. Des approches spécifiques du trauma, comme l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ou les thérapies psycho-corporelles (Somatic Experiencing, hypnose thérapeutique, etc.), se révèlent efficaces pour traiter les symptômes de stress post-traumatique, les souvenirs pénibles et les réactions dissociatives. Une thérapie de couple n’est pas indiquée en cas d’abus narcissique actif, car elle peut même empirer la situation (le PN risque de manipuler le thérapeute ou de se servir des séances pour humilier la victime). En revanche, après la relation, une thérapie individuelle pour la victime, éventuellement complétée plus tard par une thérapie de couple avec un nouveau partenaire si des séquelles subsistent, aide à réapprendre une sexualité saine et basée sur la confiance.
Psychoéducation et compréhension du phénomène
Lire des ouvrages de référence sur les pervers narcissiques, les mécanismes d’emprise et le traumatisme permet de normaliser vos réactions (non, je ne suis pas “folle” ou “faible”, j’ai réagi comme n’importe quelle personne sous emprise). Comprendre le profil du PN aide aussi à réaliser que la responsabilité des abus incombe à l’abuseur, pas à la victime. De plus, savoir que d’autres ont vécu les mêmes choses et s’en sont sortis offre de l’espoir. De nombreux témoignages de victimes, blogs, et groupes de soutien existent (attention toutefois aux sources trop anecdotiques ou non professionnelles : privilégier des lectures validées par des psychologues). Cette éducation thérapeutique fait partie du processus de guérison.
Briser l’isolement et chercher du soutien
La honte et la manipulation font que de nombreuses victimes se taisent. Or, parler est libérateur (dans un espace sécurisé). Il est recommandé de se confier à une personne de confiance : un ami proche, un membre de la famille, ou encore mieux un groupe de parole pour victimes de violences conjugales. Entendre d’autres vécus et partager le sien réduit le sentiment de solitude et de culpabilité. Des lignes d’écoute (en France, le 3919 pour les violences faites aux femmes, par exemple) et des associations spécialisées apportent une aide précieuse, tant psychologique que juridique et sociale. Ne pas rester seul(e) face à la situation est déterminant : le soutien social est un facteur de protection reconnu dans le trauma.
Établir des limites et se protéger physiquement
Si la victime est encore en contact avec le PN (notamment lorsque la séparation n’a pas encore eu lieu ou qu’il y a des enfants en commun), il est vital d’établir des limites claires. Cela signifie : refuser tout rapport sexuel non consenti, même sous la pression. Réaffirmer son droit à dire non. Préparer éventuellement, avec l’aide d’un professionnel, un plan de sécurité pour quitter la relation de manière sécurisée (par exemple : avoir une trousse d’urgence prête, des copies de documents importants, un proche au courant prêt à intervenir en cas de danger, etc.). En cas de menace physique ou sexuelle imminente, contacter les forces de l’ordre sans hésiter. La loi (du moins en France et dans de nombreux pays) reconnaît désormais le viol conjugal et les violences psychologiques comme des délits/crimes : la victime peut porter plainte, idéalement accompagnée par un avocat ou une association d’aide aux victimes. S’entourer d’alliés (médecin, juriste, police, associations) met le PN en face d’institutions qu’il ne peut pas aussi aisément manipuler que sa victime isolée.
Couper le contact (“No Contact”) ou le réduire au minimum (“Low Contact”)
Une fois la séparation actée, la stratégie recommandée est le zéro contact avec le PN. Cela implique de bloquer son numéro, ses réseaux sociaux, ne pas répondre à ses provocations ou tentatives de revenir (le fameux “hoovering”, où il essaie de « réaspirer » la victime dans la relation par de belles promesses). Chaque interaction avec le PN risque de rouvrir les blessures ou de redonner prise à son emprise. Si le contact total est impossible (par exemple, en cas de garde partagée d’enfants), opter pour un contact minimal et neutre : on limite les échanges aux sujets indispensables, on reste factuel, et on ne montre ni émotion ni faille exploitable (technique du “Grey Rock” – se comporter comme une “pierre grise”, insipide, pour ne pas stimuler l’intérêt du PN). Toute nouvelle relation ou rapprochement intime avec lui/elle doit être proscrite, car cela réactiverait le cycle abuseur/victime.
Reconstruction de la vie sexuelle et affective
Surmonter un traumatisme sexuel prend du temps. Avec l’aide d’un psychologue, la personne pourra graduellement réapprivoiser son corps et son intimité. Des thérapies de couple avec un nouveau partenaire, ou des consultations sexologiques aident à lever les blocages lorsque la victime se sentira prête à reconstruire une relation. Il est important d’y aller à son rythme, de rétablir d’abord la confiance en soi, puis la confiance en l’autre. Des exercices de relaxation, de redécouverte sensorielle (par exemple, apprendre à percevoir du positif via des activités corporelles non sexuelles comme le sport doux, le yoga, le massage thérapeutique) contribuent à dissocier le corps du souvenir exclusif de la douleur.
Rétablir des limites saines dans la sexualité
Réapprendre que son non est absolu, que son oui doit être libre, et que la sexualité doit être un échange respectueux. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais avec du soutien, il est tout à fait possible de retrouver un jour une vie sexuelle épanouie et libérée de l’emprise du passé.
Mesures juridiques et protection légale
Si les abus du PN constituent des infractions (violences physiques, sexuelles, harcèlement…), il est important que la victime sache qu’elle a des droits. Porter plainte contribue à protéger (via, par exemple, une ordonnance d’éloignement empêchant l’abuseur de l’approcher), mais aussi a une vertu réparatrice symboliquement. Cela signifie remettre la faute là où elle est – sur l’agresseur. Le processus judiciaire est éprouvant et long, d’où l’intérêt d’être bien accompagné (par un avocat et une association). Même en l’absence de plainte, documenter les abus (garder des messages menaçants, faire constater les blessures par un médecin, tenir un journal des incidents) s’avère utile plus tard. En France, la loi reconnaît aussi la notion de violences psychologiques au sein du couple, ce qui englobe l’emprise mentale et s’applique aux pervers narcissiques : c’est un levier légal possible. Dans tous les cas, la sécurité immédiate prévaut : il ne faut pas hésiter à solliciter une aide d’urgence (police, hébergement en lieu sûr) si la situation dégénère.
Conclusion
Sortir de l’emprise d’un pervers narcissique est un processus. Cela nécessite du temps, de la patience envers soi-même, et le plus souvent un accompagnement professionnel. La sexualité, qui a pu être instrumentalisée et abîmée par l’abuseur, redeviendra source de plaisir et d’épanouissement avec le bon soutien. Des neurosciences à la psychotraumatologie, les connaissances actuelles confirment que le cerveau et le psychisme ont une capacité de résilience : avec une prise en charge adaptée, les symptômes post-traumatiques s’atténuent, l’estime de soi se reconstruit, et la victime redevient progressivement acteur/actrice de sa vie. La priorité est de se protéger et de se faire aider.
Aucune honte à avoir : les mécanismes d’emprise sont puissants. Ce qui compte dorénavant, c’est de reconnaître sa valeur, d’apprendre à poser des limites infranchissables et de s’autoriser à vivre des relations fondées sur le respect mutuel. En un mot, retrouver sa liberté et son intégrité, y compris dans la sphère la plus intime, est possible – et c’est tout le mal que l’on peut souhaiter à celles et ceux qui ont croisé la route d’un pervers narcissique.
FAQ : Pervers narcissiques et sexualité
Un pervers narcissique détourne la sexualité de sa fonction affective pour en faire un outil de pouvoir, de gratification personnelle ou de contrôle de l’autre.
Par des pratiques non consenties, un égocentrisme sexuel, du chantage affectif, des punitions sexuelles ou des alternances déstabilisantes entre passion et froideur.
Troubles de la sexualité, stress post-traumatique, culpabilité, dissociation, isolement et atteinte à l’estime de soi. Ces effets peuvent durer longtemps sans soutien.
Oui, les femmes PN existent. Elles manipulent souvent de manière plus dissimulée mais peuvent tout autant utiliser la sexualité comme moyen de domination.
Oui. Avec un accompagnement thérapeutique spécialisé, du soutien social et une prise de conscience des mécanismes d’emprise, la reconstruction est possible.