Sorry, Baby — Le murmure d’un trauma, l’éclat d’une résilience
Un film d’Eva Victor | Revue de presse – Blog soutien aux victimes d’abus narcissiques
Il y a des films qui s’imposent par leur puissance, leur sujet, leur mise en scène. Et puis il y a des œuvres qui choisissent une autre voie : celle du silence, de la suggestion, de la subtilité. C’est dans cette seconde catégorie que s’inscrit “Sorry, Baby”, premier long métrage d’Eva Victor, actrice, scénariste et désormais réalisatrice, révélée par ses sketchs incisifs sur Internet.
Et pour un premier film, le geste est fort.
Une histoire fragmentée, comme la mémoire
« Sorry, Baby » raconte l’histoire d’Agnes, une professeure de littérature brillante, drôle, un peu maladroite, dont la vie bascule après un événement que le film ne nomme jamais franchement, mais qu’on devine très vite : un viol commis par un mentor universitaire, homme reconnu, apprécié, admiré.
Mais ici, pas de reconstitution, pas de scène violente, pas de confrontation spectaculaire. Le récit prend le parti d’un éclatement narratif, découpé en cinq chapitres non chronologiques, comme pour refléter l’état psychique de celles et ceux qui ont vécu un trauma : une mémoire confuse, hachée, sans début ni fin claire.
Ce choix de mise en forme est déjà en soi un acte politique et artistique : refuser la linéarité, c’est refuser le récit traditionnel de la « victime », souvent réduit à un schéma simpliste — abus, dénonciation, résolution. Dans « Sorry, Baby », la réalité est autre : on avance, on recule, on doute, on recommence.
L’après, pas l’événement
Ce qui touche profondément dans ce film, c’est qu’il ne s’intéresse pas à l’abus lui-même, mais à ce qu’il laisse derrière lui. À l’intérieur d’Agnes, dans son quotidien, dans ses relations. Les effets sont partout : dans la manière dont elle évite les regards, dans son corps crispé, dans les silences lourds qui entourent sa parole, mais aussi dans l’humour qu’elle brandit comme une protection, dans les amitiés précieuses qui se nouent autour d’elle.
Eva Victor, qui incarne elle-même Agnes, signe une interprétation bouleversante de justesse, mêlant une grande vulnérabilité à une force souterraine. Face à elle, Naomi Ackie, dans le rôle de Lydie, amie et témoin sensible, incarne la sororité vraie, sans paternalisme ni clichés.
Le film nous fait ressentir ce que vivent tant de personnes après un abus sexuel ou une relation d’emprise narcissique : le doute, la solitude, la banalisation, l’incompréhension institutionnelle, mais aussi la capacité à se reconstruire, à créer du lien, à redevenir sujet de sa propre histoire.
L’émotion sans pathos, la beauté sans fard
Techniquement, le film est une merveille de délicatesse : lumière douce, cadrages serrés mais jamais oppressants, paysages sonores riches, et une direction artistique tout en retenue. L’image ne cherche pas l’esthétisme gratuit ; elle s’ancre dans le ressenti. Ce que le spectateur voit, c’est ce que le personnage perçoit – une forme d’écho entre la mise en scène et la subjectivité traumatique.
Et surtout, le film fait rire. Parfois franchement, parfois amèrement. Ce mélange de tons — dramatique, comique, absurde — est une des grandes forces de « Sorry, Baby ». Il rappelle que les victimes ne sont pas que des victimes : elles rient, elles aiment, elles échouent, elles vivent.
Pourquoi ce film est important pour notre communauté
Si nous avons choisi de parler de « Sorry, Baby » ici, c’est parce qu’il offre une représentation rare et précieuse de l’impact d’un abus de pouvoir et d’un viol, notamment dans un contexte de relation asymétrique, sans jamais sombrer dans le pathos ou le spectaculaire.
Ce film donne à voir ce que vivent tant de personnes après une relation toxique ou narcissique : le sentiment d’irréalité, la culpabilité inversée, l’absence de reconnaissance, la parole qu’on étouffe soi-même par peur d’être encore une fois niée.
Mais il montre aussi les chemins possibles de la résilience, sans recette miracle, sans revanche explosive, simplement en donnant du temps, de l’espace et de la dignité au processus de reconstruction.
« Sorry, Baby » est un film à part. Un film qui choisit le murmure plutôt que le cri, la finesse plutôt que le choc. Il laissera peut-être certains spectateurs sur leur faim s’ils attendent un message clair, une fin triomphante ou une dénonciation spectaculaire. Mais pour celles et ceux qui ont traversé le silence, le doute, l’effacement, ce film résonnera avec une justesse rare.
C’est un film qui comprend. Qui regarde sans juger. Qui tend la main sans appuyer.
Et pour cela, il mérite d’être vu, partagé, transmis.
Merci Eva Victor, pour cette œuvre aussi douce que nécessaire.
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