Femme floutée, représentant l’idée de manipulation interne, de contrôle psychologique, d'auto-gaslighting.
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Auto-gaslighting : comment la victime devient son propre gaslighter

En tant que psychologue spécialisé en psychotraumatologie, je souhaite, à travers cet article vous éclairer sur un phénomène insidieux que j’observe fréquemment chez les victimes de violences psychologiques : l’auto-gaslighting. Il s’agit de la tendance à intérioriser le discours de l’abuseur au point de finir par se manipuler soi-même, en doutant de sa propre réalité et en se blâmant à tort. Je vous propose d’explorer ensemble ce concept, ses mécanismes psychologiques, ses signes cliniques, ses conséquences sur la santé mentale et surtout les stratégies thérapeutiques pour s’en libérer. L’objectif est de vous offrir une compréhension profonde, accessible de l’auto-gaslighting, ainsi que des outils concrets pour amorcer la reconstruction.

Qu’est-ce que le gaslighting et l’auto-gaslighting ?

Le gaslighting (ou détournement cognitif)

Le gaslighting (ou détournement cognitif) est une technique de manipulation et de violence psychologique dans laquelle un abuseur déforme les informations, nie les faits ou minimise les émotions afin de faire douter la victime de sa perception de la réalité. Par exemple, un partenaire malveillant affirmera « Tu te fais des idées, je n’ai jamais dit ça » ou « Tu exagères, tu es trop sensible », inversant les rôles et faisant passer la victime pour instable ou fautive. À force de subir ce lavage de cerveau émotionnel, la victime doute d’elle-même, de sa mémoire et de son jugement. Elle a l’impression de « devenir folle » tant la réalité lui paraît floue et toujours remise en question.

L’auto-gaslighting

L’auto-gaslighting, comme son nom l’indique, survient lorsque la personne reprend à son compte le flambeau du gaslighter et se le retourne contre elle-mêmepsychologytoday.com. Autrement dit, la victime, imprégnée par les mensonges et dénigrements répétés de l’abuseur, intériorise cette voix critique. Elle se met alors elle-même à nier la validité de ses émotions et de ses souvenirs, sans même qu’il soit besoin d’un manipulateur extérieur. L’auto-gaslighting se manifeste par des pensées du type : « Ce que j’ai vécu n’est pas si grave… », « Je dois exagérer, c’est de ma faute si ça s’est passé comme ça… », « Je réagis trop violemment, je dois être trop sensible… . C’est une forme d’auto-manipulation invisible extrêmement pernicieuse : on devient son propre bourreau psychologique, ans en avoir conscience sur le moment. Comme le résume une définition clinique, l’auto-gaslighting est « le résultat d’un doute et d’une autocritique si fortement internalisés que la personne commence à remettre en question sa propre réalité et à minimiser ses émotions ». En somme, la victime se convainc elle-même des mensonges autrefois inculqués par l’abuseur, comme si la petite voix destructrice de ce dernier s’était logée dans sa tête.

Mécanismes psychologiques de l’intériorisation : idéalisation, dévaluation, introjection et besoin de contrôle

Plusieurs mécanismes psychologiques expliquent comment une victime de gaslighting en vient à intérioriser le discours de son agresseur et à pratiquer l’auto-gaslighting. Voici les principaux :

Idéalisation et dépendance affective 

Au début de la relation abusive, il y a une phase d’idéalisation. L’abuseur narcissique démarre par un love bombing (bombardement d’amour) en couvrant sa victime d’attention, de compliments et de promesses, créant ainsi un lien de dépendance très fort. La victime, placée sur un piédestal un temps, développe une vision idéalisée de son partenaire et un profond besoin de son approbation pour se sentir aimée. Lorsque plus tard l’abuseur change d’attitude, la victime conserve en tête l’image de l’époque « parfaite » et s’accroche à l’espoir de retrouver cette validation perdue. Avec cette idéalisation initiale la victime va justifier les comportements nocifs qui suivent. Par exemple, elle se dit « S’il me critique maintenant, c’est que j’ai dû faire quelque chose de mal ; au fond c’est quelqu’un de bien, il me l’a prouvé avant… ». L’idéalisation est le terreau de l’auto-culpabilisation à venir.

Dévaluation progressive 

Graduellement, l’abuseur entre dans une phase de dévalorisation de la victime. Il devient froid, critique, méprisant, voire verbalement violent. C’est durant cette phase qu’il recourt fréquemment au gaslighting pour asseoir sa domination : il nie des événements dont la victime se souvient, la traite de folle ou de menteuse, reproche à la victime d’être “trop émotive” ou de “tout prendre de travers”, et retourne systématiquement la faute sur elle. La victime, déjà fragilisée par l’attachement qui s’est crée dans la phase l’idéalisation, intériorise ces messages dévalorisants. Chaque remarque du type « Le problème c’est toi, pas moi » ou « Si tu n’étais pas si déséquilibré(e), rien de tout cela n’arriverait » s’imprime peu à peu en elle. Sa propre image se détériore : elle passe de « personne exceptionnelle » aux yeux de l’abuseur, à « indigne et folle » – et finit par le croire. C’est ainsi que la dévaluation extrême ouvre la voie à l’auto-gaslighting : la victime commence à appliquer sur elle-même le même traitement, se répétant en boucle qu’elle est nulle, trop sensible, responsable de tout, etc. Elle vit dans un état de dissonance cognitive, partagée entre le souvenir de l’affection passée et la réalité actuelle des abus, alors elle conclut « c’est moi qui ai un problème, puisqu’il m’aimait tant au début ».

Introjection de la voix de l’abuseur 

L’ introjection est un mécanisme de défense psychologique bien connu en psychanalyse, qui désigne le fait d’intégrer en soi les idées ou les paroles d’autrui. Dans le contexte du gaslighting, l’introjection prend une tournure tragique : la victime absorbe la voix de son bourreau et l’intègre à son dialogue intérieur. Un article de référence (Calef & Weinshel, 1981) a d’ailleurs proposé que le gaslighting repose précisément sur l’introjection par la victime des conflits projetés par le manipulateur. Les victimes de gaslighting ont« tendance à assimiler et incorporer ce que les abuseurs projettent sur elles ». Concrètement, la personne entend intérieurement les phrases de l’abuseur comme si c’étaient ses propres pensées. C’est ainsi qu’après avoir été rabaissée de l’extérieur, elle se rabaisse désormais toute seule de l’intérieur. Par exemple, si l’agresseur répétait sans cesse « Tu es folle, tu inventes n’importe quoi », la victime introjecte ce message et, à la moindre émotion ou souvenir douloureux, elle se dira « Je dois exagérer, je l’ai sûrement imaginé… ». Cette voix aliénante s’installe confortablement dans sa psyché et continue le sabotage sans nécessiter de nouveau stimulus extérieur. La violence ne cesse pas, elle se déplace à l’intérieur : « le maltraitant n’est plus dehors, il s’est mis dedans et a pris toute la place libre… comme un alien qui a capturé et contrôle le corps de sa victime » mindspa.me. La personne vit alors avec un “tyran intérieur” qui la critique et la punit en permanence.

Besoin de contrôle et pouvoir 

Le besoin de contrôle opère à deux niveaux dans l’auto-gaslighting. D’abord, du côté de l’abuseur, rappelons que le gaslighting est fondamentalement une tactique de coercition pour soumettre l’autre. L’agresseur cherche à garder l’ascendant sur sa victime, à la rendre dépendante et impuissante afin de perpétuer ses abus impunément. Comme d’autres formes de violence de contrôle, le gaslighting vise à affaiblir le libre arbitre de la victime et à renforcer la domination de l’agresseur sur elle. En lui faisant douter de ses perceptions, il la coupe de son discernement et donc de sa capacité à se rebeller. On ne le souligne jamais assez : « Le gaslighting ne pourrait exister sans des inégalités de pouvoir sociales et psychologiques entre l’abuseur et sa cible », rappelle la sociologue Paige L. Sweet newportinstitute.com.

Mais il y a aussi le besoin de contrôle du côté de la victime. Cela peut paraître contre-intuitif, pourtant de nombreuses victimes s’auto-blâment inconsciemment dans l’espoir de reprendre un peu de maîtrise sur ce qu’elles vivent. Pour une personne traumatisée, il est moins effrayant de penser « Tout est de ma faute » que de faire face à l’effroyable réalité « Je suis impuissante face à quelqu’un de malveillant ». S’attribuer le blâme donne l’illusion qu’en se « corrigeant » soi-même, on empêchera la violence de se reproduire. Les psychotraumatologues observent fréquemment cette stratégie chez les enfants maltraités : « Ils adoptent l’auto-culpabilisation pour ressentir un sentiment de contrôle, croyant qu’en se réparant eux-mêmes ils pourront prévenir de nouveaux abus » psychologytoday.com. C’était un mécanisme de survie chez l’enfant impuissant qui dépendait de ses parents ; devenu adulte, ce schéma perdure sous forme d’auto-gaslighting. La victime pense qu’en se critiquant et en se perfectionnant sans cesse, elle finira par être « assez bien » pour ne plus être maltraitée. Hélas, c’est un piège : cette hyper-responsabilisation ne fait que majorer le sentiment de honte et la soumission dans la relation toxique psychologytoday.com.

En résumé, l’auto-gaslighting est le fruit amer d’un engrenage psychologique : la dépendance affective initiale, la dévalorisation subie, puis l’introjection de l’agresseur et la quête illusoire de contrôle se combinent pour que la victime devienne son propre agent de conditionnement. Elle continue le travail du bourreau en son for intérieur, bien après la fin objective de la relation d’abus. L’abuseur a semé en elle une graine de doute et de dénigrement qui germe et prolifère de manière autonome. Comprendre ces mécanismes est une première étape pour s’en libérer.

Signes cliniques de l’auto-gaslighting chez les victimes

Comment reconnaître qu’une personne (ou vous-même) est en train de faire de l’auto-gaslighting ? Il existe plusieurs signes cliniques caractéristiques observables chez les victimes ayant intégré le discours de leur abuseur. Les principaux symptômes incluent :

Doute permanent de soi 

la victime d’auto-gaslighting ne se fait plus confiance du tout. Elle remet en question la validité de tout ce qu’elle pense ou ressent. Par exemple, elle va se demander sans cesse « Est-ce que j’exagère ? Est-ce que je me souviens bien des faits ? ». Elle n’est jamais sûre que ses perceptions soient correctes et préfère croire les autres que sa propre raison. C’est comme si son esprit tournait en rond, cherchant désespérément une “vérité absolue” qui lui échappe. On retrouve ici les conséquences classiques du gaslighting : la personne doute de sa mémoire, de son jugement et même de sa santé mentale. Elle peut avoir l’impression de devenir folle ou incompétente, tant tout lui semble flou. Cette auto-doute chronique paralyse la personne, qui n’ose plus prendre de décisions sans l’avis d’autrui. Elle demande validation sur ce qu’elle devrait penser ou faire, vivant dans la confusion.

Minimisation et invalidation de ses émotions 

Un autre signe fort est la tendance à minimiser sa propre souffrance. La victime d’auto-gaslighting invalide ses émotions, en se disant qu’elle réagit « trop » ou de manière « infantile ». Par exemple, si elle ressent de la tristesse ou de la colère, elle s’autoflagelle immédiatement : « Je dramatise, d’autres ont vécu pire, je ne devrais pas être affecté(e) à ce point… ». C’est le reflet intérieur des phrases que l’abuseur lui répétait (« Tu es trop sensible », « Tu prends tout trop à cœur »). À force, la victime n’écoute plus ses signaux émotionnels – elle les réprime ou les tourne en dérision. Une patiente me confiait par exemple : « Quand je me mets à pleurer sans raison apparente, j’entends la voix de mon ex dans ma tête me dire que je fais mon cinéma. Et alors j’ai honte de moi, j’essaie de ravaler mes larmes. » Cette auto-invalidation émotionnelle est un dangereux refoulement : la personne ne sait plus ce qu’elle ressent réellement, ni ce qui est légitime ou non de ressentir. Elle se coupe de sa boussole interne.

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Auto-culpabilisation et honte excessive 

Les victimes d’auto-gaslighting ont tendance à se blâmer pour tout. La moindre contrariété, le moindre conflit, elles en concluent que « c’est de ma faute, je l’ai bien cherché ». Leur discours intérieur est rempli de « j’aurais dû » et de « si j’étais moins comme ci ou plus comme ça, ça ne serait pas arrivé ». Cette culpabilité omniprésente provient du transfert injuste de la faute orchestré par l’abuseur : il a fini par leur faire porter la responsabilité de ses propres torts. Maintenant, même en l’absence de l’abuseur, elles portent ce fardeau. Elles s’excusent sans arrêt, y compris pour des choses qui ne sont pas de leur fait. Une personne victime d’auto-gaslighting va s’excuser d’exprimer son mal-être (« Pardon, je sais que je suis pénible avec mes problèmes… ») ou s’accuser elle-même lorsque quelqu’un la blesse (« Il m’a trompée, mais c’est moi qui l’ai poussé à bout, je n’étais pas assez-ci ou trop-ça… »). Cette honte intériorisée est telle que la victime en vient à croire qu’elle « mérite » les mauvais traitements et qu’elle « ne mérite pas » les bonnes choses. On observe un discours auto-dépréciateur très dur : « Je suis nul(le) », « Je gâche tout », « Je ne mérite pas d’être aimé(e) », etc. Ce genre de phrases intérieures, autrefois prononcées par l’abuseur, tournent en boucle dans son esprit. L’auto-culpabilisation est si ancrée qu’elle mène à un profond dégoût de soi et à la conviction erronée d’être la source de tous ses problèmes.

Confusion mémorielle et narrative 

Un symptôme fréquent de l’auto-gaslighting est la difficulté à faire confiance à sa mémoire. La personne n’est plus sûre de ce qui s’est réellement passé ou non. Elle réécrit inconsciemment l’histoire en faveur de l’abuseur, ou oublie des pans entiers d’événements traumatiques (par dissociation). Par exemple, elle pourrait dire : « Je me souviens qu’il m’a crié dessus ce jour-là… enfin, je crois… peut-être que j’exagère ce souvenir, c’était peut-être pas si terrible. » Cette confusion vient du fait que l’abuseur a nié la réalité (« je n’ai jamais dit/fait ça »), si bien que la victime ne sait plus discerner le vrai du faux. Parfois, elle a l’impression que sa mémoire lui joue des tours – alors qu’en réalité ce sont les manipulations passées qui lui ont fait douter de ses repères. On voit aussi apparaître des trous de mémoire émotionnelle : la personne a du mal à relier ses émotions présentes à des faits passés cohérents, ce qui entretient son sentiment de « être perdue ». La confusion est telle qu’elle n’arrive plus à raconter clairement son vécu, ses récits sont hésitants, entrecoupés de « je ne sais plus trop… », « peut-être que je me trompe… ». De plus, cette incertitude permanente sape la construction d’un récit personnel solide. La victime ne se fie plus à sa propre histoire et adopte la version de l’abuseur (si celui-ci lui a dit par exemple « Tu inventes ces abus, tu deviens folle », elle finit par croire qu’elle a tout exagéré). Cette confusion mémorielle favorise l’isolement : la victime ose moins témoigner ou demander de l’aide, de peur de « se tromper » ou de « ne pas être crue ».

En synthèse, l’auto-gaslighting se repère à la diminution drastique de la confiance en soi, à un dialogue interne très négatif (autocritique, honte, déni de ses besoins) et à un affaiblissement du sens de la réalité personnelle. La victime vit mentalement sous l’emprise de son agresseur même en son absence, avec une voix interne qui la maintien dans le doute, la honte et la confusion. Ces signes cliniques doivent alerter car, s’ils perdurent, ils risquent d’engendrer des conséquences psychiques plus graves.

Conséquences de l’auto-gaslighting sur la santé mentale

L’auto-gaslighting, en prolongeant la violence psychologique dans le for intérieur de la victime a des effets délétères à long terme sur la santé mentale. Voici les principales conséquences observées :

Effondrement de l’estime de soi 

À force de s’entendre dire (par l’abuseur puis par soi-même) qu’elle a « toujours tort », qu’elle « ne vaut rien » ou qu’elle est « folle », la victime voit son estime personnelle chuter drastiquement. Elle perd peu à peu confiance en elle, doutant de sa valeur en tant que personne. Cette perte d’estime de soi se manifeste par un manque de respect de soi (elle tolère l’intolérable), de l’auto-dévalorisation et une impression d’être fondamentalement déficiente. Des survivant·e·s confient se sentir « brisé(e)s à l’intérieur », « indignes d’être aimés » ou « inintéressant(e)s ». Le regard qu’elles portent sur elles-mêmes est sévèrement négatif, calqué sur celui de leur agresseur. C’est un terreau pour des troubles dépressifs, car l’individu ne parvient plus à percevoir ses qualités ni à éprouver de l’amour-propre. La dévalorisation intériorisée est l’une des marques les plus profondes laissées par le gaslighting sur la psyché.

Troubles anxieux et état de stress permanent 

Vivre dans le doute incessant et l’auto-critique permanente est extrêmement anxiogène. Les victimes d’auto-gaslighting développent assez souvent des troubles anxieux tels que de l’anxiété généralisée (être continuellement sur le qui-vive, appréhender de mal faire), des attaques de panique, voire des symptômes de stress post-traumatique. Le cerveau, habitué au mode « survie » durant l’abus, reste en alerte. La personne souffre d’hypervigilance (sur-interpréte le moindre signe de reproche ou de conflit comme une menace), d’insomnie, de cauchemars, de flashbacks émotionnels. S’ajoutent parfois des pensées obsessionnelles autour de ce qu’elle a « mal fait » ou devrait faire mieux. Cette tension psychique épuise l’organisme. Il n’est pas rare que les victimes somatisent (maux de tête, troubles digestifs, fatigue chronique liés au stress prolongé). La confusion et le sentiment de perdre la tête induisent une anxiété intense, voire un état dissociatif (impression d’être détaché de la réalité) par moments. L’auto-gaslighting, en entretenant l’idée que « quelque chose ne tourne pas rond en moi », alimente malheureusement l’anxiété et le cercle vicieux de la peur.

Dépression et désespoir 

À mesure que la flamme de l’estime de soi s’éteint et que l’anxiété éreinte, beaucoup de victimes glissent vers la dépression. Elles se sentent piégées dans une situation inextricable, d’autant qu’elles s’accusent elles-mêmes de cet état. Cette dépression se manifeste par une tristesse profonde, une perte d’intérêt pour des activités autrefois appréciées, une perte d’élan vital. La personne exprime du désespoir (« Je n’y arriverai jamais, je suis cassé(e) à vie »), de la culpabilité excessive, et parfois des idées noires. En effet, lorsque toute la faute repose « sur soi » dans son esprit, il n’y a plus d’échappatoire. On observe aussi de la confusion et de l’abattement : la victime, ne sachant plus à quoi se fier a l’impression de ne plus avoir de repères ni de futur. La dépression est aggravée par l’isolement (voir point suivant) et la difficulté à demander de l’aide (puisqu’elle pense ne pas la mériter ou que « ça ne sert à rien, c’est moi le problème »). Dans certains cas extrêmes, l’auto-gaslighting non traité mènent à des pensées suicidaires, la personne étant convaincue d’être un fardeau ou d’être irréparablement « folle ». C’est pourquoi il est vital de briser ce cycle à temps.

Isolement social 

L’auto-gaslighting engendre l’isolement. D’une part, elle se méfie de son propre jugement, donc elle craint de témoigner de ce qu’elle vit à ses proches par peur de ne pas être crue ou de se tromper. D’autre part, l’abuseur l’a encouragée à douter des autres et à se couper des soutiens extérieurs (*« Ta famille te monte la tête », « Les psys vont te bourrer le crâne », etc.). Résultat, même une fois l’abuseur parti, la victime reste prisonnière de son isolement : elle continue à s’isoler d’elle-même, convaincue que personne ne la comprendra ou qu’elle mérite d’être seule. Elle évite de parler de ses problèmes, minimise devant autrui (« tout va bien ») et s’enferme dans sa bulle de doute. L’estime de soi étant basse, elle pense ne pas être une bonne amie ou une bonne compagnie, et donc s’éloigne de son cercle. Cet isolement aggrave évidemment la dépression et l’anxiété, et valide aux yeux de la victime le discours interne « je suis seule, personne ne peut m’aider ». L’isolement est un terreau favorable pour que l’auto-gaslighting tourne en boucle sans contradiction extérieure. C’est un piège bien connu : dans la plupart des cas de violence psychologique, la victime finit par s’isoler, ce qui prolonge le pouvoir de l’emprise.

Altération de la réalité et de la confiance 

Une conséquence plus diffuse mais profonde est la perte de confiance générale – non seulement en soi (nous l’avons vu), mais aussi en autrui et en la réalité. La victime d’auto-gaslighting ne sait plus à qui ou à quoi se fier. Elle est méfiante envers tout le monde (« Et s’ils me manipulaient eux aussi ? ») tout en continuant à se méfier d’elle-même. Ce paradoxe la laisse dans un entre-deux douloureux, une forme de déréalisation. Comme le décrivent les cliniciens, la personne évolue dans un « environnement psychologique déformé qui n’a plus grand-chose à voir avec la réalité » mindspa.me. Il n’est pas exagéré de dire que le gaslighting prolongé induit une fragilisation psychotique : la victime, à force de douter de tout, a des moments proches du délire ou de la paranoïa (par exemple, se demander si elle n’a pas inventé toute son histoire de maltraitance, ou inversement suspecter exagérément les intentions de tout le monde faute de repères fiables). Dans les cas extrêmes historiques, on a vu des victimes de gaslighting finir internées en psychiatrie sous l’étiquette de « folie », tant l’agresseur avait réussi à les faire passer pour déséquilibrées. Aujourd’hui heureusement, on reconnaît de mieux en mieux l’impact de ces violences : ce ne sont pas les victimes qui sont folles, mais la situation qui l’est. Néanmoins, les séquelles sur la structure cognitive dure : difficulté à prendre des décisions, à faire confiance, syndrome du doute permanent, etc. Ce n’est qu’avec un travail de reconstruction que la personne pourra peu à peu rétablir un sentiment de réalité solide et une confiance, en elle et en autrui, plus équilibrée.

En somme, l’auto-gaslighting plonge la personne dans un véritable état de détresse psychologique globale. Confusion, anxiété, dépression et repli sur soi forment un cercle vicieux ravageur. Les victimes en arrivent à questionner leur propre réalité et à lutter pour se fier à elles-mêmes ou aux autres newportinstitute.com. Il est important de souligner que ce ne sont pas des faiblesses personnelles, mais bien le résultat d’un conditionnement abusif subi. La bonne nouvelle, c’est qu’en thérapie on peut défaire ce conditionnement et rallumer la flamme intérieure de la personne. Les dommages, aussi profonds soient-ils, ne sont pas irréversibles. Avec un accompagnement approprié et des stratégies adaptées, il est tout à fait possible de sortir de l’auto-gaslighting et de retrouver une santé mentale équilibrée.

Stratégies thérapeutiques pour sortir de l’auto-gaslighting

Face à l’emprise durable de l’auto-gaslighting, il est essentiel de mettre en place des stratégies thérapeutiques pour aider la victime à reconquérir sa réalité et sa confiance en elle. En tant que psychologue, j’accompagne mes patients dans un travail de déconstruction du discours introjecté de l’abuseur, et de reconstruction d’un contre-discours intérieur plus réaliste. Voici les principales approches utilisées pour déjouer le processus d’auto-gaslighting et amorcer la guérison :

Prise de conscience et psychoéducation 

La première étape est d’identifier et nommer le processus. Tant que la personne n’a pas conscience qu’elle s’auto-gaslight, elle ne peut pas lutter contre. En thérapie, j’explique à la victime ce qu’est le gaslighting, comment il l’a affectée, et je lui montre concrètement en quoi ses pensées auto-critiques actuelles sont le reflet de l’emprise passée. Mettre des mots (« tyran intérieur », « voix de l’abuseur ») sur ce phénomène aide à créer un déclic. La victime réalise « Je ne suis pas folle, ce que je vis a un nom et une explication ». On explore ensemble les exemples de phrases qu’elle se dit et on les relie à l’histoire de l’abus. Cette prise de conscience est douloureuse mais libératrice : elle comprend qu’elle a intériorisé un mensonge, et que ses émotions niées étaient en réalité légitimes. À partir de là, on engage le travail pour renverser la vapeur. Sans culpabiliser la personne (qui s’en veut déjà assez), on l’invite à regarder son dialogue interne avec un œil neuf. Il s’agit d’apprendre à repérer chaque fois que le « discours de l’abuseur » se manifeste en elle (chaque « tu es trop ceci, pas assez cela » intérieur), car la conscience est le premier pas pour reprendre le contrôle sur ces pensées.

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Développer un dialogue interne bienveillant et des contre-narratifs 

Une fois que les pensées auto-gaslightantes sont identifiées, le travail consiste à les contester et les remplacer. C’est ici un entraînement quotidien à la restructuration cognitive : chaque fois que la petite voix critique dit « tu es idiote d’être triste pour si peu », on va consciemment la confronter et la corriger : « Non, ce n’est pas idiot d’être triste, mon ressenti est valable car ce que j’ai vécu me blesse ». Je demande souvent aux patients de noter noir sur blanc leurs pensées auto-dévalorisantes puis d’écrire en face une phrase alternative positive/réaliste. Par exemple, transformer « Je suis incapable, je gâche tout » en « J’ai fait de mon mieux dans un contexte difficile, je mérite de la bienveillance ». Il s’agit de développer un nouvel autoportrait indépendant de l’abuseur. Un exercice thérapeutique courant est de personnifier le “tyran intérieur” (par exemple en l’imaginant comme la voix de l’abuseur ou comme une figure distincte) et de s’entraîner à lui répondre. Cela se faire à l’écrit (dialogue sur le papier entre la voix critique et la voix saine) ou à l’oral en jeu de rôle. L’objectif est de diminuer le volume de cette voix négative et d’amplifier une voix intérieure compatissante. On encourage la personne à se parler comme elle parlerait à un ami cher : avec empathie, patience et encouragement. Parfois, je propose l’exercice du miroir : se regarder dans le miroir et prononcer à voix haute des phrases d’affirmation positive (même si elle n’y croit pas encore totalement). Des affirmations telles que « Mes émotions sont réelles et importantes. Je ne suis pas coupable des abus subis. J’ai le droit de ressentir ce que je ressens. » sont répétées quotidiennement pour reprogrammer progressivement l’esprit. C’est un processus qui prend du temps, car il s’agit de désapprendre des mensonges installés de longue date et de redévelopper la confiance en son propre jugement. À terme, il s’agit de « rétablir un libre arbitre solide et la capacité à faire confiance à ses propres perceptions », comme l’écrit Hilde Lindemann. En clair, la victime doit réapprendre à douter des messages de l’abuseur au moins autant qu’elle doute des siens, et surtout à valider ce que elle ressent de façon indépendante. Ce rééquilibrage du dialogue interne est au cœur de la libération.

Tenir un journal de bord (journal intime thérapeutique) 

L’écriture est un outil extrêmement puissant pour contrer l’auto-gaslighting. Je recommande quasiment toujours aux survivants de gaslighting de tenir un journal quotidien de leurs pensées et émotions. Pourquoi ? Parce qu’écrire permet de mettre de l’ordre dans le chaos intérieur et de voir la vérité en face. La psychologue Ingrid Clayton, qui a elle-même surmonté un auto-gaslighting massif, témoigne que « l’écriture est une manière puissante de voir la vérité de mon auto-gaslighting, d’en discerner plus clairement les origines » psychologytoday.com. Concrètement, il s’agit chaque jour ou chaque semaine de prendre du temps pour décrire ce qu’on ressent, ce qu’on a vécu, et les pensées auto-critiques qui sont venues. Le fait de les écrire à la troisième personne permet de prendre du recul (« Aujourd’hui M; a pensé qu’elle était stupide de ressentir de la colère… »). On peut aussi y noter les preuves objectives qui contredisent les pensées négatives. Par exemple : « Pensée : “Je n’ai pas le droit d’être blessée par X.” — Fait : X m’a insultée, n’importe qui serait blessé, c’est une réaction normale. ». Le journal sert de miroir fiable lorsque la mémoire vacille : relire noir sur blanc son vécu validé c’est ancrer la réalité. C’est en quelque sorte un « anti-gaslighting » sur papier. De plus, tenir un journal améliore l’auto-prise de conscience (mindfulness émotionnelle) : on devient plus attentif aux moments où l’on se maltraite intérieurement. Des études et de nombreux témoignages confirment que la tenue d’un journal réduit l’anxiété et la dépression, car elle permet d’organiser ses pensées et d’évacuer le stress. Externaliser par écrit les ruminations ne tournent plus en boucle dans sa tête. C’est une façon de se témoigner à soi-même de l’empathie : en écrivant, la personne prend le temps d’écouter sa voix profonde. Je fournis parfois à mes patients des fiches d’auto-observation pour guider cet exercice : par exemple, une fiche pour noter chaque jour « une situation où j’ai douté de moi », « ce que ma petite voix négative a dit », « comment je peux rephraser cela de manière bienveillante ». Avec le temps, le journal devient le témoin de leurs progrès, un support où ils prennent consciences de l’évolution de leur état d’esprit.

Ancrage corporel et techniques de grounding 

L’auto-gaslighting nous enferme dans notre tête, dans un tourbillon de pensées. Il est donc nécessaire de revenir dans son corps et dans l’instant présent pour interrompre ces ruminations destructrices. Les techniques d’ancrage corporel (ou grounding) visent à reconnecter la personne à des sensations physiques concrètes, ici et maintenant, afin de réduire la confusion et l’anxiété. En thérapie, j’enseigne par exemple des exercices de respiration profonde (cohérence cardiaque, respiration abdominale) pour calmer le mental quand il part en vrille. Je propose aussi la technique des « 5-4-3-2-1 » : identifier 5 choses qu’on voit, 4 qu’on entend, 3 qu’on peut toucher, 2 qu’on sent, 1 qu’on goûte, afin de revenir aux sensations présentes. Le mouvement physique aide également : encourager la personne à faire une courte marche en pleine conscience, sentir ses pieds toucher le sol, ou même danser sur une musique qui la ressource – tout cela permet de redescendre dans son corps et de faire taire temporairement la voix critique. Le but est de développer la capacité à « se grounder » c’est-à-dire à se sentir ancré, stable, dans la réalité immédiate, dès que les pensées de doute surgissent. Certaines approches de psychotraumatologie (comme la méthode TIPI ou la somatic experiencing) travaillent spécifiquement sur la reconnexion aux ressentis corporels pour libérer les émotions bloquées et prendre confiance en son intuition. Apprendre à repérer où se loge l’émotion dans le corps (une boule dans la gorge, une tension dans le ventre) et à l’accueillir sans jugement. Cet ancrage corporel aide la victime à réapprendre à faire confiance à ses sensations plutôt qu’à la litanie accusatrice de sa tête. La méditation de pleine conscience est particulièrement utile : en se concentrant chaque jour quelques minutes sur sa respiration ou sur un balayage corporel, la personne muscle son attention au présent et sa capacité à observer ses pensées sans s’y identifier. De nombreuses méditations guidées existent (par exemple des méditations de self-compassion ou de visualisation sécurisante) pour accompagner ce processus. L’ancrage corporel procure en outre un soulagement du stress et améliore la régulation émotionnelle – un atout pour ne pas se laisser submerger par la panique ou la honte lors des moments de doute intense.

Validation par une tierce personne bienveillante 

Sortir de l’auto-gaslighting ne peut pas généralement se faire seul. Le regard d’un tiers empathique et neutre est précieux pour revalider la réalité. En thérapie, mon rôle est d’offrir cette « tierce validation » dont la victime a manqué. Je vais l’encourager à raconter les faits tels qu’elle s’en souvient, en soulignant que son ressenti et son vécu importent, peu importe ce que l’agresseur ou d’autres en ont dit. Lorsque la personne exprime une émotion, je la valide explicitement : « Oui, ce que vous ressentez a du sens au vu de ce que vous avez vécu. Vous avez le droit d’être en colère/triste. » Je constate à quel point ces mots provoquent un soulagement chez la victime, qui n’a parfois jamais entendu de validation de ses sentiments auparavant. C’est comme verser de l’eau sur une plante desséchée. La thérapie sert aussi à réentraîner la confiance : on évalue avec elle dans quelles situations elle doute encore d’elle-même et on examine objectivement ces moments. Un exercice consiste à comparer sa perception lorsqu’elle est hors de portée de l’abuseur : J e peux demander « Quand il n’est pas là, est-ce que vous doutez aussi de votre version des faits ? ». La personne réalise qu’elle ne doute que dans les contextes liés à l’ex-abuseur ou à l’abus, ce qui l’aide à comprendre que ce doute a été implanté en elle, et n’est pas un défaut inhérent de sa personnalité. Au-delà du travail psychothérapeutique, j’encourage les victimes à s’entourer de personnes de confiance (amis, groupe de soutien, famille bienveillante). Le témoignage d’autrui sert de miroir rétablissant la réalité. Une amie de la victime lui dira : « Tu n’exagères pas, ce qu’il t’a fait est grave. J’ai vu à quel point tu étais mal à l’époque, tes émotions sont justifiées. ». Ce type de validation externe sert à contrer le doute. On conseille parfois aux survivants de gaslighting de garder des preuves (journal, messages, etc.) et de les montrer à un tiers de confiance lorsque le doute les assaille, afin d’avoir un retour objectif. Globalement, restaurer la confiance passe par l’expérience répétée d’être cru et compris. Avec le temps, la victime intériorisera aussi cette validation : elle n’aura plus autant besoin de la confirmation externe, car elle aura appris à se faire confiance. Mais dans un premier temps, la présence d’un tiers empathique (psychothérapeute spécialisé en psychotraumatologie) est le tremplin nécessaire pour sortir de l’isolement et de la prison mentale de l’auto-gaslighting.

Thérapies spécialisées et travail du trauma 

Il est fortement recommandé aux personnes victimes d’auto-gaslighting de se faire accompagner par un psychologue/psychothérapeute formé au trauma et aux violences narcissiques. Des approches thérapeutiques tel que l’EMDR (désensibilisation et reprogrammation par mouvements oculaires) permet de retraiter les souvenirs traumatiques et de diminuer la charge émotionnelle liée aux messages de l’abuseur. L’IFS (Internal Family Systems) aide à dialoguer avec les différentes parts de soi, notamment cette part critique introjectée, pour la transformer. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) travaillent sur les pensées dysfonctionnelles (exactement ce qu’on a décrit plus haut) et incluent des jeux de rôle pour pratiquer des réponses assertives au discours interne toxique. L’approche psychoéducative et sociétale peut aussi être mobilisée : expliquer à la victime la dynamique du narcissique (cycle idéalisation/dévaluation/rejet) afin qu’elle comprenne qu’elle n’était pas personnellement folle, mais piégée dans un schéma largement documenté. Cela réduit le stigma et la tendance à la honte. Enfin, le travail narratif (comme écrire une lettre à l’abuseur qu’on ne lui enverra pas, ou écrire son histoire du point de vue de la survivante et non de la victime) aide à redonner du pouvoir et du sens à ce qui a été vécu.

Chaque thérapeute a ses outils, mais tous convergent vers un même but : redonner à la victime la maîtrise de son récit interne. On l’aide à déconstruire la « vision altérée de la réalité » que l’abuseur a implantée en elle, pour qu’elle retrouve confiance en son vécu et en ses ressentis. Ce processus peut être long et délicat, car il s’agit peu à peu de désapprendre ce conditionnement et de réapprendre à s’écouter. Mais les résultats en valent la peine : les personnes réalisent qu’elles ne sont pas ce que l’abuseur disait d’elles, qu’elles ont de la valeur, et qu’elles ont le droit inaliénable de définir leur propre réalité.

En appliquant ces stratégies de manière assidue, la victime d’auto-gaslighting va progressivement reprendre son pouvoir intérieur. Elle parviendra à faire taire la voix du doute et de la honte, pour la remplacer par une voix de compassion et de confiance. Il est possible de se libérer de l’auto-gaslighting, même après des années de manipulation : j’en suis témoin régulièrement en thérapie. Cela demande du temps, du soutien et de la persévérance, mais chaque petite victoire (une émotion qu’on s’autorise, un « non » qu’on ose dire, un jour sans s’excuser à tort…) est un pas vers la reconquête de soi.

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Ressources pratiques pour avancer vers la reconstruction

En complément de l’accompagnement thérapeutique, il existe de nombreuses ressources pratiques que la victime d’auto-gaslighting peut utiliser en autonomie pour accélérer son rétablissement. En voici quelques-unes que je recommande et qui servent d’outils au quotidien dans la reconstruction :

Fiches d’auto-observation 

Comme évoqué, tenir un journal est très utile. Pour guider cette écriture, on utilisera des fiches ou grilles d’auto-observation. Par exemple, une fiche « Pensée automatique – Réponse adaptative » : on y inscrit la pensée auto-gaslightante qui survient (ex : « Je ne devrais pas me plaindre, c’est moi le problème »), puis on écrit en face une réponse rationnelle et bienveillante (ex : « J’ai le droit d’exprimer mon mal-être, ce que j’ai vécu n’est pas normal »). On peut aussi tenir une liste des “distorsions cognitives” fréquentes (minimisation, généralisation abusive, blâme de soi, etc.) et s’entraîner à les repérer dans son discours. Ces fiches servent de support visuel pour restructurer progressivement ses schémas de pensée. De même, une fiche de suivi émotionnel permet de noter chaque jour son humeur, les émotions ressenties et les éventuels déclencheurs – ceci aide à légitimer ses émotions et à voir les progrès au fil du temps (par exemple, constater qu’au début on notait beaucoup de “honte” ou de “culpabilité”, et qu’avec le temps ces colonnes se réduisent).

Exercices d’affirmation de soi 

L’auto-gaslighting s’accompagne d’une grande difficulté à s’affirmer (puisque la personne doute d’elle-même). Travailler l’affirmation de soi est donc très bénéfique. Il s’agit d’exercices à faire devant son miroir, en se répétant des phrases comme « J’ai confiance en mon ressenti », « Mes besoins comptent ». Ou bien écrire une lettre de validation : se rédiger à soi-même une lettre qui reconnaît la réalité de ce qu’on a traversé (« Cher moi, je sais que tu as été manipulé(e) et que ta douleur est réelle… ») et qui offre du soutien comme on le ferait à un ami. Relire cette lettre lors des moments de doute agit comme un antidote à la petite voix destructive. Un autre exercice puissant est le suivant : faire la liste de toutes les phrases blessantes que l’abuseur disait, puis à côté écrire la vérité opposée. Par exemple : « Tu es fou/folle » devient « Je ne suis pas fou/folle, ce que j’ai perçu était vrai » ; « Tu ne vaux rien » devient « J’ai de la valeur et je mérite le respect ». Ce tableau “mensonges vs réalités” est à afficher ou à conserver en lieu sûr et relu régulièrement pour reprogrammer son esprit avec la vérité. Enfin, pratiquer la technique du “stop-pensée” aide aussi : dès qu’on se surprend à douter sans raison, se dire mentalement « Stop ! » voire le dire à voix haute, et remplacer de suite par une pensée plus juste.

Méditations guidées et relaxation 

Des ressources de méditation guidée spécifiques pour la reconstruction de l’estime de soi et le traumatisme existent sur Internet (YouTube, applications comme Insight Timer, Petit Bambou, etc.). Par exemple, des méditations de bienveillance envers soi apprennent à envoyer de la compassion à soi-même, ce qui contrecarre la sévérité de la voix critique. D’autres méditations visualisent un lieu sûr ou un protecteur intérieur qui vient rassurer la part de soi blessée et apaise l’anxiété et la confusion. La pratique régulière de la méditation (même 10 minutes par jour) rebalance le système nerveux : elle active la réponse de relaxation, diminue le cortisol (hormone du stress) et augmente le sentiment de calme intérieur. C’est un entraînement à observer ses pensées sans les croire automatiquement, compétence contre l’auto-gaslighting. Par ailleurs, des exercices de relaxation comme le training autogène, la relaxation musculaire progressive de Jacobson, ou du yoga doux (yin yoga, yoga nidra) permettent de réinvestir son corps positivement et à relâcher les tensions accumulées. On trouve des enregistrements audio guidés pour ces techniques. Il ne faut pas hésiter à explorer et trouver ce qui convient le mieux : certain·e·s préfèreront une relaxation corporelle, d’autres une méditation cognitive, l’important est d’y trouver un apaisement et une reconnection à soi.

Activités de recentrage et de reconstruction identitaire 

Enfin, toutes les activités qui redonnent un sens du soi positif sont les bienvenues. L’auto-gaslighting ayant érodé l’identité de la personne, il est précieux de la reconnecter avec qui elle est vraiment, en dehors de la relation d’abus. Cela passe par des activités artistiques (dessiner, peindre ses émotions, tenir un carnet créatif), par du sport ou une discipline corporelle (arts martiaux, danse thérapie, etc. qui permettent de se réapproprier son corps et son pouvoir), ou par des engagements valorisants (bénévolat, projets personnels). L’idée est de se redécouvrir des compétences, des qualités, afin de contrer la vision auto-dépréciative. Par exemple, suivre un atelier théâtre d’improvisation permet de reprendre confiance en ses idées spontanées et de s’exprimer sans peur du jugement. Pratiquer un art martial redonne le sentiment de force et de contrôle. Même simplement passer du temps dans la nature, jardiner, prendre des cours de chant – toute activité qui fait du bien et donne un sentiment d’accomplissement – participe à reconstruire l’estime de soi en dehors du prisme de l’abuseur. Je conseille aux victimes d’abus narcissiques de faire la liste de ce qu’elles aimait avant l’emprise, ou de ce qu’elles aimeraient essayer, et de se donner l’autorisation progressive d’y goûter. Ces expériences positives nourrissent l’âme et donnent de nouveaux repères identitaires plus joyeux. Peu à peu, l’emprise du passé se dilue dans ces nouvelles sources de satisfaction et de fierté personnelle.

Bien entendu, chacun est unique et chaque parcours de guérison l’est aussi. Il ne s’agit pas de tout faire à la fois, mais de piocher dans ces ressources pratiques celles qui vous parlent le plus. L’important est d’avancer à son rythme, avec bienveillance envers soi-même. Le simple fait de lire cet article et de chercher des solutions est déjà un signe que vous êtes en train de reprendre du pouvoir sur votre vie.

Conclusion : vers la prise de conscience et la reconstruction de soi

L’auto-gaslighting est sans doute l’une des séquelles les plus insidieuses des abus narcissiques, car il prolonge la violence même en l’absence de l’agresseur. Si vous vous êtes reconnu(e) dans ces descriptions, rappelez-vous avant tout que vous ni « fou/folle », ni condamné(e) à rester piégé(e) dans ces schémas. Ce que vous vivez porte un nom et des mécanismes ont pu être expliqués : cela signifie qu’on peut les déjouer. La première étape est la prise de conscience – peut-être que la lecture de cet article y contribue. Réaliser que cette petite voix intérieure qui vous sabote n’est pas votre véritable voix, mais l’écho d’une manipulation subie. Cette réalisation est puissante : elle permet de rejeter la honte injustement portée et de rediriger la colère vers sa vraie cible (les abus commis, et non vous-même).

Vient ensuite le temps de la reconstruction. Celle-ci se fait brique par brique, avec patience et bienveillance. Donnez-vous le droit d’être vulnérable, le droit d’avoir souffert et d’en garder des séquelles – ce n’est pas une faiblesse, c’est une réaction humaine normale à un traumatisme. « Est-ce que mon traumatisme était assez grave pour que je me sente aussi mal ? » Si vous vous posez la question, la réponse est oui, il l’était. Votre douleur est le reflet de l’importance de ce qui vous est arrivé. « Est-ce que je mérite du soutien et d’aller mieux ? » Oui, vous le méritez pleinement, comme tout être humain mérite d’être respecté et aidé. « Est-ce que je peux m’en remettre et retrouver une vie épanouie après des années de gaslighting ? » La réponse est oui, c’est possible.

Le chemin n’est pas toujours linéaire : il y aura des moments de doute, des rechutes dans l’auto-critique, des jours où la voix du passé se fera entendre à nouveau. Ne vous en blâmez pas. Chaque fois que vous trébuchez, souvenez-vous que vous avancez malgré tout. Célébrez chaque petite victoire, parce qu’il y en aura : le jour où vous vous surprendrez à dire non sans culpabilité, le jour où vous vous regarderez dans le miroir avec de la compassion au lieu du mépris, le jour où vous vous sentirez entier/entière à nouveau. Tout cela vous attend.

Pour terminer, j’aimerais vous encourager, en tant que psychologue mais aussi de cœur à cœur : ayez confiance en votre lumière intérieure. Elle a été vacillante sous le vent du gaslighting, mais elle ne s’est pas éteinte. En la protégeant des courants d’air du doute et en l’alimentant avec de la bienveillance, vous la verrez briller de plus en plus fort. C’est cette lumière retrouvée qui vous guidera hors de l’obscurité. Vous méritez de vivre libéré(e) de ces chaînes invisibles, d’avoir des relations où l’on vous respecte, et de vous sentir en paix avec vous-même.

Si cet article a pu allumer ne serait-ce qu’une étincelle de prise de conscience en vous, alors il aura rempli sa mission. N’hésitez pas à vous saisir des outils et ressources proposés, à demander de l’aide professionnelle si besoin, et surtout à croire en vous malgré la petite voix qui dit le contraire. Elle se trompe – vous savez la vérité, au fond de vous. Je conclurai avec un message d’espoir adressé à cette partie de vous qui doute encore.

Vous n’êtes pas ce que votre abuseur a dit de vous. Vous êtes légitime, vous êtes fort(e) d’avoir survécu, et vous avez le droit d’être entendu(e) et cru(e). Votre réalité compte, vos émotions comptent. Pas à pas, vous vous reconstruirez et redeviendrez auteur(e) de votre propre histoire. La reconstruction après l’auto-gaslighting est un chemin vers la liberté intérieure – un chemin vers vous. Je vous souhaite de tout cœur de le parcourir, à votre rythme, et de retrouver pleinement la personne précieuse que vous êtes.

Vous méritez le respect, la sérénité. Ne laissez plus la voix de l’abuseur en vous prétendre le contraire. Aujourd’hui peut être le premier jour du reste de votre vie, affranchi de ce mensonge. Croyez en vous – car moi, en tant que thérapeute ayant accompagné tant de survivant·e·s, je crois en vous.

FAQ : Tout comprendre sur l’auto-gaslighting et s’en libérer

Qu’est-ce que l’auto-gaslighting ?

L’auto-gaslighting est un phénomène où une personne, victime d’un abus narcissique, en vient à douter d’elle-même, à nier ses émotions et à s’auto-culpabiliser, comme si elle reproduisait la manipulation du gaslighter à l’intérieur d’elle-même.

Comment se manifeste l’auto-gaslighting au quotidien ?

Il se manifeste par des pensées comme : « Je dois exagérer », « Ce que je ressens est ridicule », « C’est sûrement moi le problème ». Ces phrases intérieures reflètent une perte de confiance en ses ressentis et une dévalorisation constante de soi.

Quelle est la différence entre gaslighting et auto-gaslighting ?

Le gaslighting est une manipulation exercée par une autre personne, visant à faire douter la victime de sa réalité. L’auto-gaslighting, lui, survient quand la victime intègre ce discours et le répète contre elle-même, même sans présence de l’abuseur.

Pourquoi l’auto-gaslighting est-il si courant après une relation toxique ?

Parce que l’emprise psychologique amène la victime à internaliser le discours du manipulateur. Ce conditionnement émotionnel la conduit à adopter ce regard critique sur elle-même, même une fois la relation terminée.

Peut-on se libérer de l’auto-gaslighting ?

Oui, avec un accompagnement thérapeutique, un travail sur le dialogue intérieur et des outils comme le journal de bord, la pleine conscience ou la validation émotionnelle, il est possible de déconstruire ces schémas et retrouver confiance en soi.

Comment aider un proche victime d’auto-gaslighting ?

Écoutez sans juger, validez ses émotions, évitez les injonctions du type « tu dois tourner la page », et proposez-lui un soutien professionnel. Lui rappeler que ses ressentis sont légitimes l’aidera à sortir du doute.

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