Passion, confusion, illusion : Comment différencier l’amour véritable d’une relation sous emprise ?

Comment différencier l’amour véritable d’une relation sous emprise

Dans ma pratique en psychotraumatologie, je rencontre de nombreuses personnes confrontées à la répétition de schémas amoureux destructeurs. Peut-être vous reconnaissez-vous dans cette expérience : une attirance presque magnétique pour des partenaires instables, indisponibles, toxiques, et l’incompréhension de retomber encore dans le même piège. Un mot revient alors : confusion. Confusion entre amour et dépendance, entre lien authentique et emprise, entre passion intense et sécurité affective. Derrière ces histoires douloureuses se cachent des mécanismes psychiques profonds que nous allons explorer ensemble pas à pas.

La confusion entre intensité et amour

Le début de certaines relations amoureuses ressemble à un feu d’artifice émotionnel : regards envoûtants, fusion immédiate, l’impression de se « reconnaître » instantanément. On pense vivre la grande passion. Pourtant, cette intensité émotionnelle est confondue à tort avec la preuve d’un amour véritable. En réalité, sur le plan psychologique, ce coup de foudre est le signal d’un ancien traumatisme qui se réactive. Ce que beaucoup interprètent comme de la passion n’est souvent qu’une réaction du système nerveux, avec des symptômes physiques proches de l’anxiété (mains moites, cœur qui s’emballe, souffle court). Autrement dit, la peur et l’excitation intenses ressenties sont prises pour de l’amour, alors qu’elles trahissent surtout un état d’alerte intérieure hérité du passé.

En effet, chez les personnes ayant connu des blessures affectives précoces (abus, abandon, négligence), le système d’attachement s’est construit sur des bases insécurisantes ou désorganisées. La rencontre avec une personne ambivalente ou émotionnellement indisponible va alors activer des circuits émotionnels familiers, ancrés dans ces anciennes expériences. Le corps se souvient de ces sensations. Des recherches sur l’attachement montrent que lorsqu’une personne a un style d’attachement désorganisé (issu d’une enfance où la figure parentale était tantôt protectrice tantôt effrayante), elle vivra ses relations amoureuses avec une intensité extrême et chaotique comme un écho direct de ses blessures d’enfance. Ce qui ressemble à une flamme passionnelle n’est ainsi pas forcément de l’amour authentique, mais l’expression d’une angoisse et d’un besoin d’attachement ancien. L’étincelle ressentie n’est parfois que la réactivation d’une dépendance affective liée à des blessures passées : « cette étincelle, prise à tort pour de la passion, n’est en fait que l’expression d’une angoisse et d’un besoin d’attachement » rtbf.be. En somme, le frisson intense éprouvé n’est pas la preuve d’un amour véritable, mais le signal d’anciens schémas émotionnels non résolus qui se rejouent.

Il est important de rappeler que l’amour véritable n’est pas synonyme de drames ou de sensations fortes. Bien au contraire, une relation saine se construit dans la douceur, progressivement, sur un sentiment de sécurité mutuelle. Pour certaines personnes habituées aux montagnes russes affectives, cette stabilité est déroutante voire ennuyeuse, simplement parce qu’elle ne correspond pas à leurs repères émotionnels. Pourtant, des modèles d’amour plus calmes, basés sur la sécurité émotionnelle et le respect, sont tout aussi puissants et épanouissants que les romances passionnelles tumultueuses. Une relation « calme » ne veut pas dire sans émotions, elle rime avec confiance réciproque, écoute et respect de chacun. Apprendre à distinguer le frisson issu du traumatisme de la véritable intimité est une première étape pour sortir de la confusion entre intensité et amour.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Thérapie de couple avec un narcissique : ne tombez pas dans le piège !

Le mythe du lien exceptionnel

Un autre mécanisme entretient ces schémas répétitifs : la croyance tenace en un lien unique et indéfectible avec le partenaire toxique. Vous pouvez avoir du mal à quitter une relation destructrice parce que vous êtes convaincu qu’il existe « quelque chose de spécial » entre vous et votre partenaire, un lien quasi-magique qu’il serait impensable de briser. Cette idée, le mythe du lien exceptionnel, est alimentée par la dépendance, la peur de l’abandon, et l’espoir (souvent inconscient) de réparer une blessure ancienne à travers cette relation.

On retrouve ici un phénomène bien connu en psychotraumatologie : la compulsion de répétition. Ce n’est pas du masochisme, mais d’un processus psychique par lequel l’inconscient rejoue sans cesse une situation semblable au trauma initial, avec l’illusion qu’elle pourra cette fois en changer l’issue. Sigmund Freud décrivait déjà que ce qui n’est pas remémoré se répète : l’inconscient cherche à rejouer sans fin la scène traumatique afin de « trouver la bonne issue », mais sans jamais y parvenir. Autrement dit, vous vous dites intérieurement : « Si j’arrive à le sauver / à le faire m’aimer, je prouverai que je suis digne d’être aimée ». Ce faux espoir de réussir là où, autrefois, l’on a été blessée maintient un attachement profond à la relation toxique. Vous tentez en réalité de guérir votre enfant intérieur blessé à travers cette relation actuelle.

Sur le plan psychologique et neurobiologique, cette croyance en un lien unique s’explique par le phénomène de lien traumatique (ou trauma bonding en anglais). Le trauma bonding désigne le puissant attachement émotionnel qu’une victime développe envers la personne qui lui fait du mal, en raison d’un cycle d’abus répété suivi de brèves périodes de répit. En effet, ce lien pervers se forme notamment lorsque les maltraitances alternent avec des moments de « lune de miel » où l’abuseur se montre soudainement charmant ou attentionné. Ce cycle d’abus-entente crée un attachement d’autant plus fort que l’affection est distribuée de manière aléatoire et imprévisible. Ce renforcement intermittent, recevoir de l’affection de manière sporadique après des violences a un effet redoutable : il est à l’origine d’une véritable addiction émotionnelle. La victime, psychiquement épuisée, s’accroche aux rares moments positifs en espérant ardemment le retour définitif des jours heureux. L’article d’un autre psychologue décrit bien ce mécanisme : dans la relation abusive, l’agresseur devient à la fois la source de terreur et de soulagement pour la victime, ce qui favorise chez elle un sentiment de loyauté viscéral et irrationnel envers lui, une sorte d’attachement aveugle qui défie la logique et paraît insensé vu de l’extérieur psychcentral.com. L’abuseur est perçu en même temps comme le sauveur et le bourreau, renforçant le lien de dépendance. À force de subir ce cercle vicieux, la personne abusée n’arrive plus à partir, malgré la souffrance, car elle reste convaincue que ce lien est spécial et qu’il ne peut être compris de personne d’autre.

Il est important de comprendre que ces liens toxiques activent des réactions cérébrales similaires à une drogue. Les études en neurosciences montrent que l’adrénaline du danger mêlée aux petites doses de gentillesse entretient un attachement encore plus puissant. Par exemple, le neurotransmetteur dopamine, associé au plaisir et à l’addiction, est libéré de façon bien plus intense lorsque l’affection est distribuée de manière imprévisible plutôt que constante psychcentral.com. En clair, les comportements en « chaud-froid » des partenaires narcissiques ou violents exacerbent paradoxalement l’attirance et l’attachement au lieu de le décourager ce qui crée une dépendance comparable à une addiction à une substance. La victime se retrouve neurologiquement « accrochée » à cette relation tumultueuse. Elle va alors tout tenter pour regagner les faveurs de l’autre, même au détriment d’elle-même, comme un joueur compulsif espérant son jackpot : comme un gambler devant une machine à sous, elle s’accroche pour un gain hypothétique malgré des pertes énormes. Ce conditionnement intermittent maintient ainsi l’illusion du lien exceptionnel “personne ne peut comprendre ce que nous avons, lui seul peut combler mes manques” au prix de la sécurité et de la santé mentale de la victime orientaction-groupe.com.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Comment pratiquer l'auto-compassion ? - Partie 2

Il faut souligner que ce mythe du lien unique est une illusion dangereuse entretenue par le trauma et l’emprise psychologique. Bien sûr, chaque histoire d’amour a sa part d’unique, mais dans le cas d’une relation toxique, ce sentiment d’exceptionnel provient surtout de mécanismes de dépendance et de manipulation. La souffrance n’est pas le gage de l’amour malgré ce que certaines romances culturelles voudraient nous faire croire. Réaliser que ce qui fait mal n’est pas de l’amour  est une prise de conscience difficile mais salvatrice. Cela ouvre la voie à une remise en question du schéma répétitif et à la possibilité d’en sortir.

Retrouver une relation à soi avant une relation à l’autre

Sortir de ces schémas destructeurs implique un véritable retour vers soi. Avant de pouvoir bâtir une relation saine avec autrui, il est nécessaire de reconstruire la relation que l’on entretient avec soi-même. Ce travail introspectif est profond, douloureux, mais absolument nécessaire pour briser le cycle de la répétition et ne plus « retomber » dans les mêmes pièges amoureux.

Concrètement, il s’agit pour vous de :

  • Comprendre votre histoire d’attachement – Identifier quels modèles affectifs vous avez intégrés depuis l’enfance (avez-vous appris que l’amour était synonyme d’insécurité, de drame ?).
  • Identifier vos blessures émotionnelles non résolues – Prendre conscience des traumatismes passés (abandon, abus, rejet…) qui influencent encore vos choix affectifs actuels.
  • Être à l’écoute de votre corps et de ses signaux – Noter les signes physiques d’alarme (anxiété, tensions, euphorie soudaine) face à une nouvelle relation. Votre corps reconnaît le danger avant votre esprit, il vous alerte qu’une relation est toxique.
  • Vous aimer suffisamment pour savoir dire non – Apprendre à poser vos limites, à refuser l’inacceptable sans culpabilité, par respect pour vous-même. Renforcer votre estime de vous afin de ne plus accepter des comportements qui vous font du mal.

Un accompagnement psychothérapeutique est bien souvent indispensable pour mener à bien ce processus de guérison. En effet, sortir de l’emprise et des schémas répétitifs ne peut généralement pas se faire seul, tant ces schémas sont ancrés profondément. La psychothérapie offre un espace sécurisant où déposer ce qui est indicible, où accueillir sans jugement la honte, la culpabilité ou la peur, et où déconstruire pas à pas les mythes qui entretiennent la souffrance. Des approches spécifiques du psychotrauma (par exemple l’EMDR, les thérapies cognitivo-comportementales, ou des thérapies psychodynamiques focalisées sur l’attachement) permettent de reprogrammer les réactions émotionnelles et corporelles issues du passé. S’entourer de personnes bienveillantes, amis, groupes de soutien, « famille de cœur », est également primordial : ces nouvelles expériences relationnelles sécurisantes servent de correctif aux anciens schémas.

Les étapes de la reconstruction incluent généralement : prendre conscience de la situation d’abus, renforcer l’estime de soi, s’appuyer sur un réseau de soutien solide, et la plupart du temps couper les liens avec l’ex-partenaire toxique pour se protéger. L’objectif ultime est de retrouver une autonomie émotionnelle que la victime n’avait parfois jamais pu développer auparavant du fait de son histoire traumatique. La victime doit réapprendre à vivre pour elle-même, sans que son équilibre émotionnel ne dépende d’un partenaire extérieur.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :  Comment sortir du conditionnement pervers narcissique : comprendre l’emprise post-abus

La bonne nouvelle, c’est que rien n’est irréversible. Les recherches en neurosciences et en psychologie de l’attachement des dernières décennies montrent que ces modèles affectifs, bien que tenaces, ne sont pas une fatalité. Le cerveau conserve une certaine plasticité tout au long de la vie : avec le temps, la prise de conscience de ses schémas, un travail thérapeutique assidu et des rencontres plus sécures, il est tout à fait possible de se délivrer de l’emprise des vieux schémas et d’évoluer vers un fonctionnement affectif adapté. En d’autres termes, on peut remplacer les vieux réflexes acquis dans la douleur pour en acquérir de nouveaux dans la confiance. Chaque pas que vous faites pour nouer une relation plus bienveillante avec vous-même, en honorant vos émotions, en respectant vos limites et en soignant vos blessures, vous rapproche d’une capacité à vivre des relations amoureuses plus équilibrées, fondées sur la confiance et le respect mutuel plutôt que sur la douleur et la peur.

Conclusion

Les schémas amoureux répétitifs ne sont pas une fatalité inscrite en vous : ils représentent en réalité le langage de votre inconscient qui tente, maladroitement, de guérir ses blessures. En mettant en lumière les liens entre votre passé et vos choix présents, en apprenant à distinguer l’amour de l’emprise, il devient possible de sortir de la confusion et de reprendre le pouvoir sur votre vie affective. Oui, ce processus demande du courage, de la patience et de l’aide extérieure, mais il en vaut la peine. Car au bout du chemin, l’amour peut enfin cesser d’être synonyme de chaos pour devenir synonyme de croissance, d’apaisement et de liberté.

FAQ Comment différencier l’amour véritable d’une relation sous emprise ?

Pourquoi suis-je attiré(e) par des personnes narcissiques ou toxiques ?

Certaines blessures affectives anciennes peuvent créer une confusion entre amour et intensité émotionnelle. Si vous avez grandi dans un environnement instable, vous pouvez inconsciemment rechercher des dynamiques similaires à travers vos relations. Ce n’est pas une faiblesse, mais un mécanisme de répétition psychique.

Est-ce que la passion au début d’une relation est un signal d’alerte ?

Pas toujours, mais une intensité trop forte, trop rapide, peut masquer une tentative de séduction manipulatoire (comme le love bombing). Une relation saine se construit dans la sécurité, la réciprocité et le respect, pas dans le chaos émotionnel.

Comment différencier l’amour véritable d’une relation sous emprise ?

L’amour véritable respecte votre rythme, vos besoins et vos limites. Une relation toxique crée de la confusion, vous fait douter de vous, et génère plus de stress que de paix. Si vous ressentez peur, culpabilité ou anxiété récurrentes, il peut s’agir d’une emprise.

Pourquoi est-ce si difficile de quitter un pervers narcissique ?

Parce que ces relations créent un lien traumatique : le cerveau devient dépendant des alternances entre abus et affection. Ce conditionnement émotionnel puissant agit comme une addiction, rendant la rupture difficile sans accompagnement thérapeutique.

Peut-on vraiment se libérer de ces schémas amoureux toxiques ?

Oui, avec de l’aide et un travail thérapeutique. Il est possible de comprendre l’origine de ses schémas, de renforcer son estime de soi et de reconstruire une sécurité intérieure. La guérison permet de se tourner vers des relations plus saines et équilibrées.

Si vous avez aimé cet article, vous êtes libre de le partager ☺️

Publications similaires

Laisser un commentaire